Rencontre avec Nathalie Dupuit
Suite de nos échos à l’exposition « Poétique urbaine » qui s’est tenue du 20 au 30 octobre dernier, à l’Espace 181 (Palaiseau), à travers, cette fois, un entretien avec Nathalie Dupuit, artiste céramiste. Elle revient sur la genèse d’une œuvre en forme d’horloge imaginée à partir d’empreintes d’écorces d’arbres du jardin de la Maison de la Connaissance et de la Création, en plein cœur d’Orsay. Arbres abattus depuis pour les besoins d’un projet immobilier…
– Si vous deviez, pour commencer, caractériser l’installation que vous exposez dans le cadre de l’exposition « Poétique urbaine » ? Quelle histoire se cache-t-elle derrière ?
Nathalie Dupuit : Cette installation s’appelle « Poumons verts ». Elle est le fruit d’une rencontre avec un lieu, la Maison de la Connaissance et de la Création (Mc2), Jérôme [ Michaut ], qui y habitait, et une amie plasticienne, Rosa [Puente]. Elle et moi nous sommes autorisées à partir à la découverte du jardin, de nous y poser, de prendre le temps d’y dessiner. Étant artiste céramiste, j’ai souhaité faire dialoguer ce matériau avec le vivant et voir ce qu’il pouvait se dégager de ce dialogue. Concrètement, avec de la terre crue et du grès, j’ai pris les empreintes d’écorces d’arbres, une douzaine au total. Au contact direct de chacune de ces écorces, c’est un peu comme une nouvelle personnalité que je rencontrais…
– Avec déjà une idée précise de ce que vous feriez de ces empreintes ?
Nathalie Dupuit : Pas tout de suite ! L’idée de les disposer en cercle est venue dans un second temps, comme l’idée des entailles correspondant aux heures. Précisons que tout cela s’est fait dans une relative urgence : nous savions que l’avenir du jardin était précaire du fait de la menace d’expropriation qui planait au-dessus, et qui s’est concrétisée depuis. J’avais donc déjà l’intuition de quelque chose ayant à voir avec la course contre le temps… En suggérant un tronc d’arbre coupé, la forme quasi circulaire des pièces en céramique suggère aussi que la menace était réelle, que les arbres étaient en sursis, que leur abattage pouvait intervenir à tout moment : dans les douze heures à venir ? Les douze mois ? Douze, c’est aussi, notez-le au passage, le nombre de lettres contenues dans » Poumons verts »…
– Très beau symbole ! Quand la disposition des douze empreintes à la manière des heures d’un cadran d’horloge s’est-elle imposée ?
Nathalie Dupuit : Peu de temps avant le montage de l’exposition. Cette installation faisant 1 m 50 de diamètre, s’est posée la question de savoir à quel endroit la fixer… Initialement, j’avais l’intention de d’aligner les empreintes les unes à côté des autres. Ce qui aurait donné autre chose. L’idée de placer au centre les aiguilles en forme de branches – elles-mêmes réalisées en céramique – est venue après. Avec Rosa, nous sommes convenues que c’était un moyen de combler un peu ce vide central, d’évoquer les aiguilles et, ainsi, le temps d’une façon encore plus évidente. Ce fut aussi une façon de souligner la complémentarité de nos œuvres disposées côte à côte : autant je suis dans la matérialité tangible de la céramique, autant, elle, est dans la légèreté que ce soit à travers cette petite peinture d’arbre, qui se prolonge dans des fils débordant le cadre, comme pour en suggérer les racines ; ou de cet assemblage de photos de feuilles de ronces du jardin, développés sur du papier transparent. L’une comme l’autre, nous rendons ainsi hommage, chacune à notre manière, à ce vivant végétal dont nous avons tant besoin, a fortiori dans un centre-ville déjà fortement densifié. Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin des arbres en particulier, de leur feuillage, pour nous protéger de ces canicules appelées à s’intensifier.
– Dans quelle mesure cette installation est-elle dans sa conception même, faite de tâtonnements, emblématique de votre démarche de création ?
Nathalie Dupuit : Elle en est tout à fait emblématique et pour la raison que vous dites. Je ne procède en réalité jamais autrement que par tâtonnements, en explorant les pistes qui s’ouvrent à moi.
– Vous n’avez pas d’idée préconçue que vous chercheriez ensuite à traduire dans une œuvre qui ne s’éloignerait guère d’un projet initial ?
Nathalie Dupuit : Non, pas du tout ! D’ailleurs, je fais rarement de croquis préalablement. Je procède juste à partir de pistes, et je me laisse guidée par mon intuition. J’essaie, je teste…. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Tant que mon cheminement me paraît cohérent et qu’il m’apporte quelque chose, je continue jusqu’au stade où j’estime que je peux en livrer le résultat, le montrer. Est-ce que celui-ci va « parler » à un regard extérieur ? Émouvoir le visiteur ? C’est à lui de le dire.
– Ainsi que vous l’avez suggéré en évoquant le nom de Rosa Puente, votre installation s’insère dans une exposition collective impliquant jusqu’à une huitaine d’artistes, qui ne se connaissaient pas tous avant le montage de cette exposition…
Nathalie Dupuit : Non, en effet. Mais nous avons tous fréquenté la Maison de Jérôme Michaut. Toutes nos créations ou installations ont à voir avec elle et donc, d’une certaine manière, avec lui. Pour ma part, je m’y suis rendue au cours du mois d’août de cette année [2025]. Le lieu paraissait alors particulièrement bucolique avec son lapin blanc – celui-là même qu’on voit sur l’affiche – et ses poules, tous laissés en liberté. Il y régnait une atmosphère légère et joyeuse. Depuis, le lieu n’est plus accessible, les arbres ont été, je l’ai dit, abattus. Il n’était plus possible d’y exposer comme des artistes l’avaient fait à partir du mois de juin. Par chance, Rosa a pu nous ouvrir les portes de l’Espace 181, en proposant d’y exposer collectivement. Le résultat, c’est donc cette exposition où on retrouve aussi un fragment de la fresque que Barus avait réalisée in situ, des photos de l’intérieur et de l’extérieur, l’installation en forme de parure de Clara [Delaunay]… Sans oublier Jérôme, dont on peut prendre la mesure du regard d’artiste, quoi qu’il en dise : ses chutes de bois en forme de cales et le dessin qu’il a fait de la maison, à la fin des années 1980, ajoutent encore à la diversité des propositions artistiques.
Propos recueillis par Sylvain Allemand
À lire aussi les entretiens avec :
– Rosa Puente – cliquer ici.
– Jérôme Michaut – cliquer ici.
– Barus – cliquer ici.
– Guillaume Maillet – cliquer ici.
– Clara Delaunay – cliquer ici.
