Entretien avec Barus
Suite de nos échos à l’exposition « Poétique urbaine » qui s’est tenue du 20 au 30 octobre dernier, à l’Espace 181 (Palaiseau) à travers, cette fois, un entretien avec Barus qui revient ici sur la genèse du fragment de fresque qu’il y a exposé.
– Pouvez-vous, pour commencer, caractériser la fresque que vous exposez à l’Espace 181 ? Quelle en est l’histoire ?
Barus : Il s’agit d’un fragment de la fresque que j’ai réalisée à la Maison de la Connaissance et de la Création (Mc2), à Orsay. Elle allait depuis la rue jusqu’au jardin en traversant la maison. Elle avait été réalisée au cours de séances publiques, les visiteurs, les passants, étant invités à assister à sa réalisation. Laquelle s’est étalée sur plusieurs mois, ponctuée de plusieurs événements. L’idée était bien de faire quelque chose dans la maison, in situ, ainsi que Jérôme [Michaut], le maître des lieux, me l’avait proposé. « Empare-toi de la maison » m’avait-il dit en substance. L’idée d’accueillir à la Mc2 des performances ou des œuvres artistiques, en plus de débats ou de conférences à caractère plus scientifique, lui trottait dans la tête depuis un certain temps.
– Aviez-vous déjà l’expérience de ce type de performance ?
Barus : Non. À cette ampleur de travail, c’était une première. Il y eut tout au plus déjà des performances publiques ponctuelles.
– Comment d’ailleurs avez-vous commencé à peindre ?
Barus : Durant mes vacances ou même des déplacements professionnels, j’ai toujours aimé partir avec mon carnet de croquis pour dessiner ce qui se présentait à moi. Au fil du temps, j’ai développé un regard et une dextérité de la main, qui me permettaient de reproduire avec de plus en plus d’aisance les éléments de mon environnement. Lorsqu’en 2018, j’ai décidé de me livrer sérieusement à la peinture abstraite, je l’ai envisagée comme une sorte de « soupe » dans laquelle ces éléments surnagent et se mélangent… C’est précisément dans cet esprit qu’a été conçu la fresque où l’on peut deviner des morceaux de la clôture du jardin, des volets, des croisillons, etc. L’idée m’a plu de ne faire que les évoquer en laissant aux visiteurs le soin de les percevoir par eux-mêmes ou d’imaginer autre chose. Au début, j’ai commencé par croquer ces éléments dans mon carnet avant, finalement, de me jeter à l’eau en les peignant directement sur le papier servant de support à la fresque. Un travail qui a supposé de passer beaucoup de temps dans la maison et le jardin, pour m’en imprégner.
– Un mot sur les peintures encadrées et colorées, qui agrémentent ce fragment ?
Barus : C’est un autre aspect de mon travail. Conçues indépendamment de la fresque, elles sont des pastilles colorées qui enrichissent l’ensemble. Déjà, initialement, à la Mc2, j’avais eu l’intention de les mettre en valeur en les disposant sur la fresque. Finalement, la réalisation de cette fresque, in situ, chez Jérôme, a représenté un tel choc émotionnel et suscité un tel intérêt auprès du public que nous avons écarté l’idée d’y placer des peintures, hormis quelques-unes et encore étaient-elles disposées autour. Ce sont les contraintes du montage de l’exposition, l’exiguïté de l’Espace 181, qui a conduit à revenir à l’idée initiale – valoriser les peintures en les apposant sur la fresque même.
– Précisons encore que vous exposez aux côtés d’autres artistes. Est-ce la première fois ?
Barus : Non, j’ai déjà l’expérience d’expositions collectives, mais celle-ci est particulière, puisqu’elle réunit des artistes qui, sans s’être connus tous préalablement, se sont retrouvés à fréquenter le même lieu, la Mc2. Suite à la réalisation de la fresque, d’autres artistes sont en effet venus, invités par Jérôme ou par moi à s’emparer à leur tour de la maison et/ou de son jardin. Certains avaient commencé à faire des expositions communes, comme Nathalie [Dupuit] et moi, dans le cadre du Parcours d’Artistes, organisé par l’association Hélium – le rendez-vous annuel des artistes du territoire, qui ouvrent à cette occasion leur atelier au public.
– Nous réalisons l’entretien à l’Espace 181, devant l’affiche de l’exposition qui a pour titre « Poétique urbaine ». Une formule qui peut paraître de prime abord étrange pour une exposition artistique…
Barus : Elle prend en réalité tout son sens quand on sait que la Mc2 est au centre d’un projet immobilier en plein cœur de la ville d’Orsay, qui s’est déjà traduit par l’abattage d’arbres du jardin… À travers une « poétique urbaine », c’est à une autre « politique urbaine », que cette exposition veut en appeler. Qu’il se dise engagé ou pas, chaque artiste réuni ici apporte une réponse à la question qu’on ne manque pas de se poser dans un tel contexte, à savoir : à quoi sert-on ? Comment être utile à une cause comme celle-là ? Et bien, la première chose qu’un artiste peut essayer de faire, c’est d’attirer l’attention du public sur ce qui se passe, en l’occurrence dans cette ancienne maison familiale et son jardin. Si ma fresque s’appelle Dream Émotion, c’est en guise de clin d’œil au promoteur immobilier en charge de la construction des logements à l’emplacement même de ce jardin. Son nom est Dream Promotion… Bien plus qu’un moyen d’attirer l’attention du public, la création artistique permet de renouer avec un monde moins matérialiste, où l’on peut se laisser émouvoir par des choses intangibles, n’ayant pas prix, comme le vivant, le patrimoine…
– Un mot sur les installations et autres œuvres exposées ici ?
Barus : Ce qui me frappe, c’est la diversité des supports, des media, des formes d’expression artistique qu’elles mobilisent. Ici, on peut voir des photographies, un dessin, des céramiques, des bijoux conçus à base de cristallisation, une vidéo qui donne à voir une reconstitution du jardin au moyen du LiDAR, etc. C’est pourquoi cette exposition me plaît tout particulièrement. Certes, la galerie est relativement exigüe, je l’ai dit, mais elle a aussi un charme qui n’est pas sans évoquer celui de la Mc2. Chaque artiste en a rapporté des traces – des photos, des objets, des meubles… – qui font que c’est un peu de celle-ci qu’on retrouve ici.
– Sans oublier Jérôme Michaut, qui y expose également…
Barus : Jérôme aurait pu venir sans la moindre proposition, car il est une œuvre d’art à lui tout seul ! [Rire]. Il se défend d’être un artiste. C’est qu’en réalité, il est cela et bien d’autres choses encore : philosophe, conférencier, menuisier… Il a bien perçu combien l’art peut être au service…. Non, service n’est pas le bon terme… Il ne s’agirait tout de même pas d’avoir une vision utilitariste de l’art ! [Sourire]. Disons plutôt combien celui-ci aide tout simplement à sublimer les bonnes volontés. C’est précisément cela qu’a su saisir Jérôme en lui ouvrant toutes grandes les portes et les fenêtres de la Mc2.
Propos recueillis par Sylvain Allemand
Pour en savoir plus sur Barus : www.barus.fr
À lire aussi les entretiens avec :
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