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Quand la « poétique urbaine » s’expose

Rencontre avec Rosa Puente

« Poétique urbaine » : c’est le nom de l’exposition qui se déroule jusqu’à la fin du mois d’octobre, à l’Espace 181 de la rue de Paris, à Palaiseau. En voici un premier témoignage avec l’artiste plasticienne Rosa Puente, engagée de la première heure dans l’animation de ce lieu emblématique de la vie artistique palaisienne.

– Si vous deviez, pour commencer, caractériser l’Espace 181 ?

Rosa Puente : L’Espace 181 a été ouvert en 2005. Mon souhait était que les enfants qui passent devant, quand ils vont et reviennent de l’école, puissent voir des formes d’expressions artistiques aussi variées que possibles. Je suis originaire du sud de l’Espagne où sévissait une grande pauvreté au plan culturel. La possibilité de voir des œuvres de création artistique m’a beaucoup manqué durant mon enfance. Certes, ici, nous sommes dans un tout autre contexte. Mais l’ouverture de l’Espace 181 n’en a pas moins répondu à ce besoin viscéral de permettre à tout un chacun d’accéder à la création artistique.

– À qui appartient ce lieu ?

Rosa Puente : À la ville, qui le met à disposition d’artistes réunis en association loi 1901. L’Espace 181, actuellement présidé par le sculpteur Olivier Bonnin, fait partie d’un ensemble qui héberge aussi des ateliers d’artistes. Nous sommes aujourd’hui une dizaine à occuper ainsi les lieux, l’association comptant quatorze artistes en son sein. L’Espace 181 se veut cependant aussi un lieu de rencontres avec d’autres artistes : nous en encourageons de nouveaux, d’expressions différentes, dès lors que, c’est notre exigence, qu’elles soient « honnêtes ».

– C’est-à-dire ?

Rosa Puente : Nous recevons de nombreuses demandes pour exposer à l’Espace 181. Il nous faut donc faire un choix. Nous le faisons en privilégiant des artistes qui se risquent à explorer des champs nouveaux, qui ont des choses à dire de singulier, qui ne refont pas ce qui a été déjà fait et vu ailleurs. C’est en ce sens que je parle d’artistes « honnêtes ». 

– Précisons à l’intention des lecteurs qui ne connaîtraient pas ce lieu, qu’il y règne une ambiance particulière qui en fait le charme. L’ensemble occupe de vieux bâtiments, incluant un passage sous un vieux porche…

Rosa Puente : C’est une des bâtisses les plus anciennes de Palaiseau. Elle ne passe pas inaperçu. Je pense d’ailleurs que c’est le lieu plus photographié de la ville [rire]. Il est juste dommage qu’il soit aussi défraîchi.

– Pour en revenir à vous, quand avez-vous rejoint l’association ?

Rosa Puente : Je me suis pleinement consacrée à mon activité artistique en 1996; peu après mon arrivée en France. J’ai rejoint l’Espace 181 quelques années plus tard, en 2004, suite à ma rencontre avec la peintre Françoise Blondel, adhérente de l’association. À l’époque, la galerie du rez-de-chaussée était inoccupée et même à l’abandon. Ma première initiative, prise avec Auck, une artiste textile de Palaiseau, a été de l’ouvrir pour en faire un espace d’exposition. Avec d’autres, nous l’avons nettoyé, aménagé. La première exposition a eu lieu l’année suivante, en 2005, avec une artiste japonaise, Yuko Obe. Au début, nous proposions une exposition à raison d’une tous les quinze jours. Maintenant, nous en sommes plutôt à une par mois – quoiqu’il nous arrive encore parfois d’en faire deux au cours d’un même mois. Chaque artiste qui y expose dispose de l’espace pour monter son exposition et assurer une présence.

– En plus de gérer cet espace, vous occupez vous-même un atelier situé à l’étage supérieur auquel on accède par des escaliers en bois et où nous réalisons l’entretien…

Rosa Puente : Un atelier que j’occupe effectivement, quand je n’interviens pas dans les écoles.

– On peut y voir des œuvres extrêmement diverses, de par les matériaux utilisés, qui sont toutes de vous. Ce qui témoigne d’une capacité de renouvellement, d’exploration d’autres univers… Est-ce cela qui vous caractérisait au premier chef ?

Rosa Puente : Je me considère d’abord comme sculptrice. Mais il est vrai que je ne m’interdis pas de m’exprimer avec des matériaux différents. Je ne veux pas rentrer dans une case ! Aujourd’hui, on me considère comme « plasticienne », ce que je mentionne d’ailleurs sur ma carte de visite. Toujours est-il que si je parais m’exprimer de façons différentes, j’ai toujours l’impression de m’exprimer sur le même sujet ». Je ne demanderais qu’à faire des choses plus variées, mais, finalement, c’est toujours la même histoire que je raconte : ce qui m’intéresse, m’inquiète, me hante…

– Preuve s’il en est besoin que l’artiste n’est pas enfermé dans son atelier comme un chercheur dans sa tour d’ivoire, il a des sujets de préoccupation en rapport à la vie, à son temps…

Rosa Puente : Il est clair que mon intérêt pour les arbres et mes préoccupations à leur sujet disent beaucoup de notre époque. Cette thématique m’accompagne depuis très longtemps et revient de manière récurrente.

– N’ont-ils pas été l’effet déclencheur de votre rencontre avec Jérôme Michaut, dont les arbres centenaires de l’ancienne maison familiale d’Orsay, sont eux-mêmes menacés de disparaître du fait, cette fois, d’un projet immobilier.

Rosa Puente : La première fois que je suis passé à la MC2, c’était en octobre 2024 : je voulais découvrir l’installation qu’un ami peintre, Barus, y avait réalisée. J’avais déjà entendu parler du lieu, mais sans plus que cela. La première fois que j’ai franchi la porte, ce fut une surprise : je ne m’attendais pas à découvrir cet univers incroyable, généreux, poétique, plein d’humanité… Par la suite, chaque fois que je m’y rendais, je prenais le temps d’en visiter chaque pièce. Des objets nouveaux y prenaient place entretemps, donnant une sensation de changement perpétuel. Comme si un lutin (Jérôme ?) passait discrètement pour tout transformer. On aurait pu se dire aussi dans une galerie d’exposition. Un lieu extraordinaire

– Vous y avez été vous-même « en résidence »…

Rosa Puente : Oui, en juin 2025, je me suis installée dans le jardin avec une autre artiste, Nathalie Dupuit. Quand j’ai appris qu’un projet immobilier se tramait, qu’on allait construire des immeubles sur cette terre, j’ai trouvé cela d’une incohérence totale avec le contexte actuel, lié au changement climatique. J’avais vu des photos d’Orsay inondée, qui m’avaient frappée. Je comprenais d’autant moins qu’un tel projet ait été adopté et qu’on laisserait faire. Cela fait écho aussi avec une problématique que je rencontre dans le terrain de la petite maison que je possède dans le sud de l’Espagne : les arbres meurent les uns après les autres, sous l’effet des sécheresses répétées. Je n’ai pu y dessiner que des troncs d’arbres morts avec leurs branches dégarnies de feuilles…

– Venons-en à l’exposition « Poétique urbaine » qui se tient jusqu’au 30 octobre à l’Espace 191. Elle réunit des artistes ayant fréquenté la MC2 et composé des œuvres à partir de matériaux et/ou d’objets qu’ils en ont extraits…

Rosa Puente : En effet, tous ont connu et ont même pour la plupart eu l’occasion d’exposer à la MC2. On pourrait donc dire que ce qu’ils nous donnent à voir à l’occasion de cette exposition, ce sont en quelque sorte les « rendus » de leur résidence. En revanche, la plupart de ces artistes ne connaissaient pas forcément l’Espace 181 ; ils n’y avaient pas encore exposé. Nous sommes d’autant plus heureux de les y accueillir.

– Comment a éclos l’idée de cette exposition ?

Rosa Puente : C’est le fruit d’un concours de circonstances : un sculpteur qui devait exposer au cours de ce mois d’octobre s’est désisté quelques semaines avant. J’ai aussitôt sollicité l’avis des membres de notre association en leur proposant d’accueillir cette exposition. Ils ont d’emblée approuvé l’idée. Il ne restait plus qu’à la monter en faisant voyager les œuvres et installations d’Orsay à Palaiseau. L’histoire de cette exposition aura donc été le fruit de hasards entre ma rencontre avec la MC2 et les circonstances de sa programmation…

– De ces hasards qui « favorisent des esprits préparés » selon la formule de Pasteur…

Rosa Puente : En effet. Le hasard ne fait pas tout. Il faut être là, au bon moment. En cela, le hasard est un peu comme la beauté qu’il faut savoir saisir quand elle se présente, en s’arrêtant et en prenant le temps de la contempler.

Propos recueillis par Sylvain Allemand

Pour en savoir plus sur Rosa Puente, cliquer ici.

À lire aussi l’entretien avec Jérôme Michaut – pour y accéder, cliquer ici.

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