Nous avons rencontré

Designer, joaillière et… engagée

Rencontre avec Clara Delaunay

Suite de nos échos à l’exposition « Poétique urbaine » qui s’est tenue du 20 au 30 octobre dernier, à l’Espace 181 (Palaiseau), à travers, cette fois, un entretien avec Clara Delaunay, designer et artisan joaillière. Elle revient notamment sur la sculpture en forme de parure, ornementée d’objets issus de la Maison de la Connaissance et de la Création (Mc2).

– Pouvez-vous, pour commencer, décrire les œuvres que vous exposez ici, à l’attention des lecteurs qui n’auront pu voir l’exposition « Poétique urbaine » organisée à l’Espace 181 ?

Clara Delaunay : Je présenterai essentiellement cette œuvre-ici [en illustration de cet entretien], celles de la pièce attenante illustrant plus l’aspect minéralogique du projet. Celle-ci a pour nom « Sous le givre, Les Michaut, 2025 ». Elle découle de ma rencontre avec Jérôme [ Michaut ] suite à l’exposition  municipale « Nature » qui s’est tenue à Orsay en mars 2024. Il s’agit d’une quasi « re-création » puisqu’une nouvelle cristallisation a été faite pour parvenir à l’installation exposée ici, dans la continuité de la précédente, réalisée sur le thème de l’éloge de la lenteur. Une manière aussi pour moi de prendre position contre l’extraction minière de pierres précieuses aux fins de produire des parures condamnées le plus souvent à finir dans des vitrines ou des coffres-forts. J’aspire  désormais à créer du « merveilleux » en mobilisant d’autres matériaux. Pour ce projet, j’ai recouru à de l’alun de potassium, que j’ai cristallisé pour produire des cristaux à la fois brillants et transparents. Ces cristaux sont fixés sur une trame en mohair. Pour cette installation, j’ai ajouté de nouveaux fils au bout desquels j’ai relié des objets issus de la Maison Michaut, la source d’inspiration de l’ensemble  de l’exposition.

– Un mot sur ces différents objets qui ne manquent pas de surprendre par leur diversité, mais qui disent bien quelque chose de la Mc2…

Clara Delaunay : Au nombre de six, ils sont effectivement très différents les uns des autres. Ils évoquent autant de facettes de la maison et des histoires dont elle a été le théâtre : une roche – un extrait de meulière dont était construite la maison – rappelle la valeur patrimoniale du lieu ; une photographie qui suggère la longue histoire de la famille Michaut, de sa maison et de son jardin ; une petite branche de vigne, qui fait à sa manière écho à la profusion et la dissémination des cristaux dans l’espace ; une figurine de soldat, qui évoque, elle, l’enfance et les transitions de générations ayant habité ce lieu – remarquez bien au passage sa couleur argentée, qui fait écho à la parure scintillante – ; une poignée de porte en laiton à l’ancienne ; enfin, une petite bouteille de Perrier, qui ne manquera pas de surprendre le visiteur… [Rire].

Jérôme Michaut passe devant nous en montrant un livre : La Parure , de Maupassant…

– … Merci Jérôme pour ce clin d’œil à l’installation de Clara. Il est l’occasion de rappeler combien les livres étaient aussi présents dans la Maison Michaut : des livres de sciences, d’arts, de littérature… Pour en revenir à la bouteille de Perrier, Il faut rappeler qu’elle parle instantanément aux familiers du lieu au point de faire presque office de Madeleine de Proust : la maison Michaut était aussi riche d’une collection de ces bouteilles et de publicités de la marque d’eau pétillante. Nous n’aurions pas nécessairement sélectionné les mêmes objets que vous, faute d’y avoir prêté la même attention, mais celui-ci « parle » immanquablement à quiconque a franchi au moins une fois le seuil de la Mc2 !

Clara Delaunay : La petite bouteille est d’ailleurs évoquée dans des photographies de l’exposition, notamment dans celle que j’ai utilisée pour ma note d’intention : une photographie d’une chambre du premier étage, tapissée de toile de Jouy, où Jérôme avait mis en scène mon collier sur la cheminée, en écho à une affiche Perrier où une femme portait un collier de bouteille…

– Puisque vous évoquez des photographies exposées ici, c’est l’occasion de rappeler que votre installation s’inscrit dans une exposition collective…

Clara Delaunay : En effet, huit artistes exposent ici, dont Jérôme Michaut qui a notamment proposé un dessin. Sans que cela ait été forcément voulu, nos œuvres ou installations se font échos les unes les autres. D’ailleurs, lorsque je fais une visite de l’exposition, je commence par une des photographies de Guillaume Maillet, qui donne à voir la façade de la maison. Suite à quoi je traverse la galerie pour présenter le dessin de Jérôme, qui permet de passer de l’autre côté de la façade, et de deviner la présence du jardin. Ce qui me permet de rebondir sur les différents espèces végétales évoquées dans cette exposition grâce notamment aux œuvres de Nathalie [Dupuit] – des empreintes d’écorces d’arbres faites sur de la céramique – et de Rosa [Puente] – des photos de ronces développées sur du papier nervure  et la peinture représentant un arbre prolongé, hors du cadre, par des fils qui en suggère le système racinaire. Et ainsi de suite vers les oeuvres de la seconde salle.

– Un collectif de huit artistes, donc, qui ont en commun le fait d’avoir connu la Mc2 et même d’y avoir fait des résidences…

Clara Delaunay : Permettez-moi de vous reprendre sur le terme de « collectif ». Nous n’en avons pas formé un à proprement parler, et avons encore moins créé une association. Nous participons plutôt à un mouvement, créé de surcroît dans une relative urgence. Nous souhaitions réagir à un projet urbain qui s’est d’ores et traduit par l’expropriation de Jérôme de sa maison familiale. Nous n’avons pas l’intention d’institutionnaliser quoi que ce soit, mais bien de rester dans un mouvement, en avançant au fil de l’eau, à l’image de l’Yvette qui relie Orsay et Palaiseau, et d’autres communes. Ou de la fresque de Barus, dont un fragment est exposé ici : réalisée in situ, à la Mc2, elle courait du côté rue jusqu’au côté jardin, en traversant la maison. Chacune des personnes qui expose ici n’en a pas moins aussi un rapport différent à ce même lieu, la Mc2. Certains l’ont découvert il y a plusieurs années, d’autres il y a à peine un an. Chacun l’ont connue à différentes étapes, à différentes saisons.

– Ce qui les réunit et qui a motivé cette exposition, c’est le risque de voir disparaître ce lieu, du moins son jardin arboré pour les besoins d’un projet immobilier en plein cœur d’Orsay…

Clara Delaunay : En effet. Pour autant, tous les artistes n’ont pas cherché à se positionner politiquement par rapport à ce projet. Mais tous avaient la volonté de manifester un soutien à Jérôme et sa démarche, en recourant à leur forme d’expression la plus naturelle : l’art. Toutes les œuvres et installations exposées ici ont été réalisées directement sur place ou à tout le moins à partir de matériaux et d’objets qui en sont issus. Une manière de faire mémoire avec l’esprit du lieu. Au moment où je vous parle, plusieurs des arbres du jardin, dont certains centenaires, ont été abattus. Ce à quoi nous ne nous attendions pas au moment de monter l’exposition. C’est dire si le « Chapitre I » que représente cette exposition appellera d’autres chapitres. Lesquels ? L’avenir le dira.

– Le fait d’exposer ailleurs qu’à Orsay – à Palaiseau en l’occurrence – dit bien déjà l’intention d’essaimer, de sensibiliser le plus grand nombre à une Poétique urbaine…

Clara Delaunay : Une intention qu’annonce bien le sticker collé sur la porte d’entrée de l’Espace 181. On peut y lire « Sur Yvette ». Car c’est à cette échelle, celle de la rivière qui traverse plusieurs communes, qu’il faut désormais réfléchir notre urbanisme. Les crues de l’Yvette de l’an passé sont là pour nous rappeler les risques que nous encourons à continuer à densifier les villes comme on le fait. Ces crues ne sont pas les premières et risquent de se répéter de plus en plus, et dans d’autres communes. Le fait que les choses aient débuté à la Mc2,  située rue de Paris, à Orsay, et se poursuivent ici, à l’Espace 181, situé lui aussi rue de Paris, mais à Palaiseau, est une heureuse coïncidence, qui augure que notre mouvement pourra se poursuivre ailleurs, et pourquoi pas dans une autre rue de Paris d’une commune voisine…

– Voire jusqu’à Paris même !

Clara Delaunay : Voire jusqu’à Paris même, en effet ! Il ne s’agirait pas de se mettre de limites [ rire ]. Peu importe où nous « atterrirons ». C’est la dynamique du mouvement qui le dira.

– Je ne voudrais pas clore cet entretien sans évoquer votre activité de designer et artisane joaillière, car cela dit aussi comment le principe des parures exposées ici a pu naturellement s’imposer à vous…

Clara Delaunay : En effet, je suis artisane joaillière et designer – produit de formation. J’ai toujours eu de l’appétence pour la parure, l’ornementation, des motifs d’émerveillement s’il en est – mon mémoire de fin d’études n’avait d’autre sujet que le « merveilleux ». Les bijoux ne sont ni plus ni moins que des objets à porter ; je passe de l’un à l’autre selon l’intérêt du projet.

– Dans quelle mesure la designer et artisane joaillière que vous êtes a été transformé par le lieu – la Mc2 ?

Clara Delaunay : Le reste de l’année, je crée principalement des bijoux en argent, parfois en or ou en d’autres matériaux, sur-mesure. Je travaille en mon nom propre ou dans l’ombre, pour le compte de marques installées. Là, c’est vraiment le fruit d’une rencontre, avec Jérôme, et de ma découverte de cette demeure improbable, la Mc2, qui m’a donné envie de consacrer du temps et de l’esprit à travailler sur les problématiques de ce lieu. Ce n’est pas avec ce projet que je vais payer mon loyer : je suis ici d’abord par engagement. Tisser des liens entre mes valeurs et mon métier est un de mes objectifs depuis de nombreuses années. Je suis tiraillée entre mon amour pour la joaillerie – qui malheureusement n’est pas un secteur se souciant beaucoup de son impact… – et l’état de notre monde. Cette exposition, c’est l’occasion de mettre ma pratique au service d’un sujet écologique et humain, qui plus est localement ! Quelque chose vers quoi j’aimerais de plus en plus aller.

Propos recueillis par Sylvain Allemand

Pour en savoir plus sur Clara Delaunay, découvrir ses créations : claradelaunay.com

À lire aussi les entretiens avec :

– Rosa Puente – cliquer ici.

– Jérôme Michaut – cliquer ici.

– Barus – cliquer ici.

– Guillaume Maillet – cliquer ici.

– Nathalie Dupuit – cliquer ici.

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