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Regard de géographe sur les communs

Rencontre avec Mathieu Battais

Suite de nos échos à la 19e édition des Entretiens de Bibracte – Morvan, qui s’est déroulée les 17 et 18 octobre derniers, à travers, cette fois, le témoignage de Mathieu Battais, chargé de mission du Grand Site de Sixt-Fer-à-Cheval (Haute-Savoie), intervenu à la table ronde que nous animions sur la manière de « mettre en place une approche par les communs ».

– Pouvez-vous, pour commencer, rappeler à quel titre vous êtes venu participer aux Entretiens de Bibracte – Morvan ?

Mathieu Battais : Je suis venu pour intervenir sur le thème de la coopération en milieu rural, autour de « communs » territoriaux, en témoignant de la manière dont, dans le cadre d’un Grand Site de France, je fais travailler ensemble des acteurs aussi divers que des élus, des habitants, des associations, des agriculteurs, etc.

– Pouvez-vous rappeler la vocation d’un Grand Site de France ?

Mathieu Battais : Il s’agit d’un label attribué [pour une durée de huit ans, renouvelable ] à un site classé de grande notoriété, et d’ailleurs soumis à  de fortes pressions du fait d’une intense fréquentation touristique et, plus généralement, de conflits d’usages susceptibles de porter atteinte à sa qualité paysagère. Mais dans lequel est mis en œuvre un projet de préservation, de gestion et de mise en valeur, dans le sens d’un développement durable. Cette mise en œuvre repose notamment sur des démarche de concertation avec l’ensemble des acteurs, pour parvenir à une vision partagée. Une cinquantaine de territoires ont été labellisés Grande Site de France ou sont inscrits dans une démarche en vue de décrocher le label. Organisés en réseau, ils échangent entre eux. C’est le cas du mien : je dialogue de longue date avec celui de Bibracte Morvan des Sommets en particulier. De là aussi ma présence à cette 19e édition des Entretiens de Bibracte – Morvan.

– Un mot sur votre propre Grand Site de France dont le nom ne manque pas de susciter la curiosité…

Mathieu Battais : [Rire]. En effet, il a pour nom Sixt Fer-à-Cheval et recouvre le territoire de la Communauté de Communes Les Montagnes du Giffre, en Haute-Savoie. Soit un territoire bien plus vaste que le site protégé sur lequel nos premières actions se focalisaient. C’est un autre intérêt de la labellisation Grand Site de France que de permettre d’élargir le périmètre d’action à des communes voisines, directement concernées par l’enjeu paysager du site protégé. Au fil du temps, nous aurons ainsi convaincu les huit communes de notre interco d’adopter notre méthode fondée, comme je l’ai dit, sur la concertation, mais aussi un travail de terrain, au travers de projets concrets tels que l’aménagement d’espaces d’accueil des visiteurs ou de zones de stationnement, la mise en place de dispositifs de gestion des flux de visiteurs, etc.

– Rappelons que vous êtes géographe de formation, car ce n’est pas anodin dans votre motivation à rejoindre ce type de dispositif…

Mathieu Battais : En effet, mes études de géographie m’ont prédisposé à considérer les territoires comme des ensembles mêlant des composantes très différentes – géographiques, sociologiques, économiques, etc. -, qui ne peuvent être traitées séparément les unes des autres. Ou pour le dire autrement, à adopter une vision holistique, car c’est ainsi qu’on peut mettre au jour les interactions possibles entre des acteurs, des secteurs ou des filières d’activité, qui peuvent avoir tendance à ne poursuivre que leurs intérêts propres. C’est dire si, en adoptant cette vision, on perçoit l’intérêt d’une approche par les communs : l’existence de conflits d’usage ne doit pas empêcher d’imaginer ce qui peut fédérer par ailleurs les acteurs d’un territoire, publics aussi bien que privés ou associatifs, autour d’enjeux qui dépassent leurs intérêts particuliers.

– Précisons que nous réalisons l’entretien à Larochemillay, une commune de la Nièvre, d’environ 230 habitants – les Entretiens de Bibracte y ont fait escale le temps d’un repas confectionné à partir de produits locaux, d’un concert de musique d’un groupe local et d’une lecture de témoignages d’acteurs de la commune, avant la reprise des discussions dans le cadre d’ateliers. Une illustration de la vitalité de la ruralité à laquelle peut contribuer une  opération Grand Site de France…

Mathieu Battais : En effet. Ce que je perçois ici, comme d’ailleurs depuis le début de ces Entretiens de Bibracte – Morvan, c’est cette énergie dont déborde le territoire. Le Grand Site de France  joue manifestement un rôle d’entraînement, à travers cette même démarche  de concertation entre l’ensemble des acteurs : élus, habitants, associatifs, agriculteurs, etc. En cela, les Entretiens de Bibracte – Morvan sont à son image, tout en allant plus loin en y conviant des personnes extérieures : des universitaires ou experts qui aident ces mêmes acteurs à prendre de la hauteur. Ce qu’on fait insuffisamment dans nos métiers, faute de temps – comme tout le monde, nous courons après les échéances, des objectifs… Pourtant, il importe, j’insiste, de savoir prendre de la hauteur. C’est dire s’il est précieux que des territoires parviennent à créer des moments comme les Entretiens de Bibracte – Morvan, avec de surcroît le souci de s’adresser au plus grand nombre, sans exclusive : aux experts, aux praticiens, comme aux béotiens.

– Prendre de la hauteur, avez-vous dit. Prendre du temps ajouterais-je. Le programme a beau être riche, on prend le temps de vivre chaque séance, en ménageant des temps d’échange, mais aussi celui de se restaurer, de se balader – cf « la balade attentionnée » organisée par l’association Chemins… Nous sommes d’ailleurs encore en train de nous attarder sur la place du village avant d’entamer les ateliers…

Mathieu Battais : Vous faites bien d’insister sur cet aspect des choses. Ce temps laissé aux échanges, aux balades, aux repas est un temps précieux. Au quotidien, nous passons beaucoup de temps en réunions formelles. Celles-ci sont certes nécessaires – elles permettent de faire le point sur les objectifs qu’on se fixe –, mais elles peuvent parfois faire perdre de vue des choses qui sont en apparence des détails, mais qui contribuent en réalité au plaisir d’être et de faire ensemble.  Échanger au cours d’une promenade, d’un arpentage du territoire, traiter de problématiques in situ, cela permet souvent d’avancer plus efficacement sur des dossiers, en plus d’apprendre à mieux se connaître, à mieux saisir le point de vue de l’autre. Force est alors de constater qu’on partage bien plus qu’on ne le pense des avis sur l’état de la situation, les solutions à mettre en œuvre. On prend aussi la mesure d’un même « attachement » pour le territoire. Certes, on peut avoir des points de désaccords, mais au fond, on s’accorde sur l’essentiel : le territoire et la nécessité d’en partager une vision commune.

– Cet engagement pour un territoire rural ne vous empêche pas d’être connecté au reste du monde : ainsi que vous me l’appreniez en amont de cet entretien, vous prenez prochainement l’avion pour vous rendre au Brésil, à Porto Alegre précisément… Quel rapport cela a-t-il avec le Grand Site de France Sixt Fer-à-Cheval ?

Mathieu Battais : Je m’y rends à un autre titre, celui de l’activité de conseil que je mène en parallèle. Mais je ne fais pas plus de différence que cela entre les deux contextes, car en réalité les problématiques qu’on peut rencontrer dans un Grande Site de France comme le nôtre ne sont pas forcément éloignées de celles qu’on peut observer à des milliers de km de là. Par-delà leurs spécificités, leurs différences, ce territoire et celui où je me rends ont des préoccupations universelles, de sorte que l’on peut faire des parallèles entre eux, établir des éléments de comparaison au regard des questionnements que peuvent avoir leurs élus, leurs techniciens, leurs habitants… Après tout, nous vivons tous sur une même planète et à l’heure du changement climatique. Il ne s’agit pas pour autant de transposer des solutions toutes faites mais, au contraire, de décliner les approches, les métiers, ainsi que je le fais. Une manière aussi pour moi de sortir de ma zone de confort, de me confronter à d’autres contextes, d’autres méthodes de travail, et renouveler mon regard, mes manières de faire. Ce qui suppose d’assumer de partir un peu à l’aventure !

Propos recueillis par Sylvain Allemand

À lire aussi l’entretien avec Vincent Guichard, archéologue, directeur général de l’Établissement public de coopération culturelle (EPPC) en charge notamment du Centre archéologique européen de Bibracte – pour y accéder, cliquer ici.

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