Nous avons rencontré

Des nouvelles d’un « ukulélé(bén)iste »

Entretien avec Arnaud Huillier

Nous l’avions rencontré en septembre dernier (2025), par hasard, à l’occasion de la Brocante annuelle du Bout-Galeux – une institution palaisienne. Il y exposait les ukulélés qu’il fabrique et avait accepté de répondre sur le vif à nos questions (vous pouvez retrouver l’entretien dans notre blog). Mais nous nous étions promis de nous revoir pour découvrir son atelier, installé dans le joli bourg de Montjay (à Bures-sur-Yvette) où il compte bien développer son activité. Cette seconde rencontre a eu lieu en ce début de mois de novembre. En voici un écho en forme d’un nouvel entretien.

– Si vous deviez, pour commencer, me caractériser le lieu où nous sommes ?

Arnaud Huillier : Nous sommes, ici, dans un ancien atelier de menuisier. Jusqu’à huit personnes y travaillaient, dont le responsable qui habitait jusqu’à côté. J’ai récupéré le lieu alors qu’il était déjà un peu à l’abandon, brut de parpaings, le toit en fibres de ciment percé de toutes parts. J’ai donc dû, dans l’urgence, le remettre en l’état, colmater les brèches, pour pouvoir y travailler au plus vite.

– Comment avez-vous découvert ce lieu ?

Arnaud Huillier : Je le connaissais de longue date, car mes parents habitaient jusqu’à côté. C’est d’ailleurs cela qui m’avait décidé de me lancer dans l’ébénisterie au milieu des années 2006-07 : la perspective de pouvoir disposer d’un atelier près de chez moi m’avait motivé. Autre coup de chance : pas très loin d’ici, du côté des Ulis, se trouvait un atelier associatif d’apprentissage de la menuiserie à destination des jeunes sans formation. Malheureusement pour lui, il n’a pas pu fonctionner très longtemps, à cause des nuisances que provoquaient son activité : du bruit et de la poussière ! Résultat : l’association s’est retrouvée avec des machines sur les bras à ne plus savoir qu’en faire. Un jour, je passais par-là, un peu par hasard… C’est comme cela que je me suis retrouvé avec tout le nécessaire pour les besoins de ma propre activité : une scie circulaire, une scie à ruban, une dégauchisseuse – pour aplanir et rendre droite une pièce de bois – et un tour à bois. Le tout pour une somme relativement modique. J’ai pu ainsi me lancer plus tôt que je ne le pensais – j’avais fini mes études d’ébénisterie, en alternance, en 2007.

– Qu’est-ce qui vous a décidé à vous mettre à votre compte ?

Arnaud Huillier : Souvenez-vous : l’année suivante, il y eut la crise financière liée aux subprimes. Personne n’embauchait plus. C’est ce qui m’a décidé à me lancer à mon compte en commençant dans la restauration de mobilier ancien. D’où la présence, ici, de plusieurs meubles, restaurés ou en cours de restauration. Ce métier m’a toujours plu mais force a été de me rendre à l’évidence : il n’est pas simple d’en vivre. J’ai donc réfléchi à une autre manière de travailler le bois, mon matériau de prédilection. Il me fallait trouver un objet en bois, à vendre sans plus avoir non plus à en négocier le prix – comme je suis contraint de le faire pour la restauration d’un meuble. J’en étais là en 2020 quand est survenue une autre crise, celle du Covid-19… Nouvel hasard – nouvelle chance devrais-je dire -, je m’étais exilé juste avant sur l’île d’Oléron où j’ai pu passer toute la période des confinements. Il m’a fallu bien sûr me mettre en quête d’un boulot sur place : j’ai été d’abord embauché par un menuisier, ensuite par un luthier qui fabriquait notamment des… ukulélés ! C’est comme cela que j’en suis venu à en faire à mon tour…

– Mais pourquoi cet instrument et pas un autre ?

Arnaud Huillier : Parce que c’est le premier qui était à ma portée ! Sans avoir pris le moindre cours, je suis arrivé à en jouer un peu – c’était devant les clients qui m’en demandaient une démonstration. Depuis près d’un an, je mets donc mes compétences d’ébéniste au service de cet instrument en essayant toutefois de le moderniser pour le rendre accessible à d’autres débutants, mais sans renoncer pour autant à atteindre un son de qualité. Ce à quoi je suis parvenu après une période de tests. Les musiciens que j’ai consultés en me rendant à leurs concerts ont non seulement validé le son de mes ukulélés, mais encore leur esthétique.

– Une esthétique que vous avez revisitée…

Arnaud Huillier : Oui, en effet, en m’inspirant des formes de guitares électriques !

– La clientèle a-t-elle d’emblée répondu présent ?

Arnaud Huillier : Chaque fois que je me déplace sur un marché, les retours sont très positifs, aussi bien d’amateurs que de professionnels. J’y effectue à chaque fois quelques ventes mais, autant le reconnaître, je n’arrive pas encore à vivre de ces ventes. C’est pourquoi, pour le moment, je continue en parallèle mon activité de restauration de meubles. J’envisage prochainement de communiquer davantage sur internet, les réseaux sociaux, avec l’espoir d’élargir ma clientèle potentielle.

– J’invite pour commencer mes lecteurs à consulter votre site, de belle facture lui aussi !

Arnaud Huillier : En effet, et merci de le souligner. Il a été réalisé par un ami.

– Envisagez-vous de faire des ukulélés à la demande ou pour des « niches » ?

Arnaud Huillier : C’est précisément ce que je commence à faire actuellement. Le client pourrait décider de la silhouette, du motif, de la couleur et jusqu’à la forme du trou d’air – il pourra choisir entre un motif gravé à part ou le trou intégré dedans. Comme ici… [Arnaud nous montre un ukulélé en cours de montage]. J’en ai conçu le fond et y ai déjà collé deux épaisseurs. Également réalisé, l’arrondi du manche viendra se coller par-dessus. J’ai prévu un trou pour y installer un écrou de façon à pouvoir y visser le micro. Ne restera plus qu’à y coller une dernière plaque puis d’ajouter le manche avant de poncer l’ensemble. En attendant, je suis en train d’intégrer les trous de sortie d’air – les vents ou la rosace selon la dénomination des professionnels. Quant au motif…

– Avec un motif en forme de tête de mort…

Arnaud Huillier : Je l’ai imaginé en vue du Hellfest, le célèbre festival des musiques extrêmes, qui se déroule chaque année à Clisson [en Loire-Atlantique]. Pas sûr cependant que je puisse m’y rendre au vu du prix des stands. Toujours est-il que c’est en pensant à ce festival que j’en suis venu à me focaliser sur cet univers. À défaut de pouvoir me rendre au Hellfest, je prospecterai d’autres festivals.

– Précisons que votre atelier se trouve à Montjay à Bures-sur-Yvette, dont il faut dire un mot…

Arnaud Huillier : Il s’agit d’un quartier collé aux Ulis, mais qui a conservé un air de village. De là, on peut accéder à une belle forêt en empruntant un chemin de terre. L’atelier se trouve derrière une petite cours bordée de par et d’autre de vieilles maisons occupés par des personnes qui se trouvent pour plusieurs d’entre elles avoir un rapport à la musique : l’une est harpiste professionnelle, un autre est batteur également professionnel ; il y a aussi un architecte-paysagiste qui joue du piano… Un voisinage très favorable qui s’est constitué au fil du temps un peu par hasard et qui compte aussi un tailleur de pierre.

– Un cluster s’il en est !

Arnaud Huillier : Exactement ! Et d’autant plus que nous jouons de temps en temps entre nous ou avec les gens du quartier, notamment à l’occasion de la fête des voisins. Voilà un autre motif qui a achevé de me convaincre d’investir ici.

Il me conduit à l’arrière de l’atelier… Vue sur un jardin potager et… imprenable sur la forêt…

– Magnifique !

Arnaud Huillier : Tout me plaît ici : l’environnement humain, l’environnement naturel… Juste en bas, vous pouvez deviner le chemin qui mène au fameux viaduc des Fauvettes ou à la gare de ligne B du RER, la Hacquinière… Bien qu’on ne le voie pas, on n’est qu’à quelques centaines de mètres des Ulis, une toute autre ambiance ! Au bout de la rue, il y a un château que la commune compte réhabiliter d’ici un ou deux ans, pour y aménager des logements, et juste à côté, un centre de détention de mineurs. Bref, quoiqu’à proximité de la nature et dans un quartier aux allures de village, nous ne sommes pas perdus au milieu de nulle part !

– Revenons-en à votre entreprise et plus précisément à son nom : Akanth… Qu’est-ce qui a présidé au choix de ce nom ?

Arnaud Huillier : Pour commencer, il me fallait un nom pas trop long pour pouvoir le graver sur l’instrument. Ensuite, Akanth fait référence à cette plante, l’acanthe, qu’on retrouve sur les chapiteaux corinthiens, mais dont vous pouvez voir un spécimen juste à l’entrée de l’atelier ! Cela permettait d’évoquer mon ancien métier, la restauration de meubles, où figurent souvent des motifs d’acanthe. J’en ai juste modifié l’orthographe en remplaçant le « h » par un « k » et enlevé le « e » pour faire un peu plus rock ! L’intérêt, c’est qu’on y retrouve mes initiales au début – « A » comme Arnaud – et à la fin – « h » comme Huillier ! J’aimais bien aussi le principe du « kant » qui évoque cantar – chanter, en espagnol. Restait à finaliser le design pour gagner en visibilité : de là le remplacement du « a » minuscule que j’avais adopté au début par un « A » majuscule, auquel j’ai ajouté des pieds.

– On voit à quel point vous aimez pousser le souci du détail ! Un mot sur les autres perspectives de développement de votre nouvelle activité ?

Arnaud Huillier : Mon ambition est de recruter au moins une personne – j’ai déjà une candidate qui ne demande qu’à travailler avec moi – et, seulement après, prendre un apprenti – je ne lui rendrais pas service à l’accueillir sans être totalement disponible. Mais pour l’heure, outre la nécessite de parvenir à un niveau d’activité permettant de rémunérer quelqu’un, il me faut adapter mon espace de travail. Mon atelier est encore trop mal isolé pour y faire travailler des salariés. Ma conception du confort est mon affaire, je ne peux l’imposer à d’autres. La prochaine étape consistera donc à réhabiliter le bâtiment qui jouxte l’atelier. D’une plus petite surface, il sera plus facile à mettre aux normes ; je pourrai alors embaucher quelqu’un dans de bonnes conditions, en plus de pouvoir passer plus facilement d’une machine à l’autre. Par ailleurs, je suis en contact avec un partenaire canadien, installé à Montréal, qui pourrait importer mes instruments dans son pays, voire ouvrir un atelier sur place – un passage obligé pour surmonter l’accroissement des taxes douanières… À ce propos, je rencontre d’inattendues difficultés à me faire livrer en certains composants dont les micros, sans que je sache si cela est lié à la politique douanière de Donald Trump…

– Si on m’avait dit que la géopolitique s’inviterait dans mon entretien avec un fabricant de l’ukulélés d’un quartier isolé de Bures-sur-Yvette…

Arnaud Huillier : Peut-être que je m’avance en imputant mes problèmes au président des États-Unis !… Cela étant dit, je ne me décourage pas. Je continue à réfléchir à la manière de décliner mon activité. À moyen terme, je pense proposer des stages pour permettre à qui le souhaite de fabriquer son propre ukulélé. Vous venez, je vous fournis la matière première et vous mets à disposition mes machines, tout en vous accompagnant bien sûr, et à la fin de la journée vous repartez avec le ukulélé dont vous rêviez. J’ai d’ores et déjà fait un test avec une personne qui n’était ni ébéniste ni menuisier ; il s’est révélé probant. En une journée et demie, elle avait pu fabriquer le sien. Reste maintenant à me conformer aux obligations en matière d’assurance et de sécurité – il est vrai que certaines de mes machines exigent un minimum de précaution. Ceci mis à part, que vous soyez ébéniste ou pas, la fabrication d’un ukulélé est à votre portée. Je me dis aussi qu’en repartant avec le vôtre sous le bras le sourire aux lèvres, vous serez mon meilleur ambassadeur !

Propos recueillis par Sylvain Allemand

Pour accéder au précédent entretien, cliquer ici.

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