Rencontre avec Sveva Saglimbeni
Du 7 au 9 novembre derniers, se déroulait à La Caserne (Paris 10e), la première édition de l’Écofemmes Fest, organisée à l’initiative de Minerva avec notamment le soutien de l’association Gender and Climate Change (GCC). Au programme : des performances, des ateliers, des visites guidées d’une exposition d’artistes écoféministes, des tables rondes et un « marché » de créatrices éco-responsables. En voici un premier écho à travers un entretien avec Sveva Saglimbeni (à droite sur la photo), de l’association Minerva, co-organisatrice de l’événement.
– Je découvre un peu par hasard et cet événement et le lieu où il se déroule, La Caserne, dans le 10e arrondissement de Paris. Pouvez-vous donc commencer par me préciser ce qui se passe ici, et ce qu’est ce lieu ?
Sveva Saglimbeni : Nous sommes dans une ancienne caserne de sapeurs-pompiers, convertie en accélérateur dédié à la création écologique dans le domaine du luxe et de la mode. L’événement qui s’y déroule est la première édition de l’Écofemmes Fest, un festival sur trois jours conçus comme un espace de rencontre et de pensée collective autour de l’écoféminisme.
– Quel a été votre rôle dans l’organisation de cet événement ?
Sveva Saglimbeni : Je suis, avec Francesca Rozzi [à gauche sur la photo], l’une des deux fondatrices de Minerva, l’association qui a l’organisé avec le soutien de plusieurs partenaires dont, notamment, Gender & Climate Change, Wecf, La Maison étudiante, le Crous Paris et La Caserne. Je précise que Minerva a été créée récemment, en 2024, avec pour vocation de promouvoir des femmes artistes émergentes, à travers des expositions, des ateliers de création artistique, des performances et des événements artistiques. Précisons encore que nous sommes isues du mouvement écoféministe, lequel recouvre aussi bien des activistes que des théoriciennes, des penseuses et des artistes de différentes origines. C’est pourquoi nous avons eu envie d’aller plus loin en proposant un festival, en y programmant, outre une exposition d’art contemporain, des ateliers, des projections, des performances, des tables rondes, ainsi qu’un marché de créatrices éco-responsables. Nous souhaitions aussi un événement inclusif, accessible à tous les publics – d’où le parti pris d’une entrée libre, un choix pas évident au plan économique, mais qui nous a paru devoir s’imposer si nous souhaitions faire davantage connaître l’écoféminisme.
– Rappelons que l’écoféminisme est un mouvement désormais relativement ancien…
Sveva Saglimbeni : En effet, il émerge dans les 1970, autour d’artistes telles qu’Ana Mendieta, Judy Chicago ou Cecilia Vicuña qui souhaitaient engager leurs pratiques plastiques et performatives dans les luttes féministes et environnementales, en rapport avec les théories de penseuses influentes comme Françoise d’Eaubonne, Silvia Federici ou Carolyn Merchant. Depuis, l’écoféminisme s’est considérablement internationalisé…
– Ce que vous illustrez à votre manière : le lecteur ne pouvant l’entendre, je précise que vous avez un léger accent qui laisse deviner une origine…
Sveva Saglimbeni : …Italienne ! Notre objectif était donc de donner la place à des personnes de différents horizons artistiques mais aussi géographiques, à même d’incarner différentes cultures. Cela étant dit, l’écoféminisme a pour particularité d’être né non pas quelque part, mais à différents endroits, à peu près au même moment : en Inde, au Kenya, en Amérique latine, avant de gagner l’Europe. Sans s’être concertées, des femmes, théoriciennes, penseuses, activistes, ont été porteuses d’à peu près le même discours féministe en faveur de la défense de la nature, du vivant, ou sur les similitudes entre les dominations exercées par le capitalisme, la patriarcat et le colonialisme sur les femmes et d’autres minorités. Le plus souvent ces pionnières étaient déjà bien intégrées dans une communauté locale, mais ne se connaissaient pas entre elles. Depuis, leur engagement a trouvé des échos au-delà des frontières et le dialogue a pu s’établir à travers des conférences, la traduction d’articles ou de livres…
– Entretemps, le changement climatique s’est imposé…
Sveva Saglimbeni : … en ne faisant que conforter le bienfondé de l’écoféminisme, car les femmes se trouvent être souvent, avec d’autres minorités, les plus impactées par ses effets. Elles se trouvent être aussi les plus soucieuses de trouver des solutions en articulant l’adaptation au changement climatique à la préservation du vivant.
– Pour bien des femmes, l’écoféminisme offre aussi l’intérêt de mettre un mot sur ce qu’elles font et de leur faire prendre ainsi conscience du fait qu’elles sont des actrices du changement…
Sveva Saglimbeni : Des actrices, en effet. On pourrait dire encore des « ingénieuses ». Les femmes parviennent à tisser des liens de solidarité entre elles, d’être à l’écoute les unes des autres, à inventer des formes subtiles de communication. Ce que dit bien cet autre concept promu par l’écoféminisme, à savoir la sororité : cette amitié particulière qui peut exister entre deux femmes au point qu’elles se considèrent comme des sœurs. Une manière de dire aussi que l’écoféminisme n’en appelle pas à la seule responsabilité individuelle : c’est aussi une affaire collective. Non seulement les femmes ne sont pas seules, mais encore elles peuvent agir ensemble. Les initiatives qu’elles portent ont pour particularité de chercher à agir sur ce qui impacte concrètement leur existence au quotidien. Voici un exemple pour illustrer mon propos : il est fourni par « Sœurs de la terre », la magnifique série documentaire que Pascale d’Erm a consacrée à des femmes qui transforment leurs territoires dans différents pays du Sud. Un des épisodes porte sur l’aménagement d’un bassin de stockage d’eau en Inde. Pour les femmes, les effets, positifs, sont immédiats : elles n’auront plus à marcher des km pour en trouver ; elles disposeront de plus de temps pour s’occuper de leurs enfants et/ou créer une activité. Bref, un cercle vertueux se met en place. L’écoféminisme est né précisément de cette conviction : en levant les obstacles qui pèsent sur la vie des femmes, on améliore le sort de l’ensemble d’une collectivité.
– Qu’ajoute la dimension artistique que vous mettez particulièrement en avant ?
Sveva Saglimbeni : Pour nous, l’art peut lui-même contribuer à faire évoluer les choses : c’est un medium efficace pour fédérer, transmettre, s’émanciper, en plus d’être accessible à tous. Les messages qu’il parvient à délivrer sont d’autant plus puissants qu’ils restent imprimés dans la tête du spectateur, quel qu’il soit, artiste ou pas, écoféministe ou pas. Ce mouvement artistique d’inspiration féministe est né à peu près au même moment que l’écoféminisme, en Amérique-Latine d’abord, avant de se répandre très vite dans d’autres parties du monde. Il est depuis resté toujours vivant et dynamique.
– Ce dont témoigne l’exposition organisée à l’occasion de votre festival…
Sveva Saglimbeni : En effet ! Elle réunit trois artistes – Isadora Romero, Gabriela Larrea Almeida et Clémence Vazard – incarnant des regards singuliers sur les enjeux écoféministes.
Gabriela Larrea Almeida est artiste photographe. Née à Quito [Équateur,], elle réside actuellement à Paris. Elle développe une nouvelle iconographie féminine, au croisement de l’étude des corps en mouvement, de la végétation native et de l’élément eau. Sa photographie expérimentale et son approche surréaliste intègrent des techniques artisanales telles que le cyanotype, le collage et la broderie d’inspiration amérindienne, qui confère ainsi une profondeur unique à chaque image.
Isadora Romero, également originaire de l’Équateur, est une artiste et narratrice d’images travaillant à la croisée de la photographie documentaire et de la photographie plasticienne. Son œuvre s’inscrit dans un engagement pour la justice sociale et écologique, avec un accent mis sur la diversité agricole, la souveraineté alimentaire et les liens historiques et symboliques entre les êtres humains et la terre.
Enfin, Clémence Vazard, une artiste transdisciplinaire au parcours nomade. Elle donne la parole aux femmes à partir d’une pratique à la fois nomade et ancrée dans les territoires qu’elle explore, en s’attachant à leurs environnements visuels et sonores, à leurs rythmes, cultures, légendes, ainsi qu’aux êtres humains et non humains qui les habitent.
– Des artistes aux univers différents mais dont cette exposition, et c’est précisément tout son intérêt, montrent aussi les affinités qu’entretiennent leurs créations respectives…
Sveva Saglimbeni : En effet, chacune à leur façon, nos trois artistes rendent hommage à la manière dont des femmes parviennent à tisser des liens et à faire communauté. Je pense en particulier au travail réalisé par Clémence auprès de brodeuses marocaines, qui communiquent par ailleurs entre elles à partir de leur pratique du maquillage à base de henné. Ou encore à Gabriella, qui brode au fil blanc selon une technique transmise par sa grand-mère, et dont les photographies explorent le geste du tressage des cheveux. Un écho direct à la tradition que perpétuent en Équateur les femmes et les hommes Kichwas, pour qui tresser les cheveux constitue un acte de transmission de récits transgénérationnels. En parallèle à l’exposition, nous avons proposé un atelier de broderie sur photo et un autre de réparation de vêtements.
– Une dernière question : le festival est fréquenté, ce qui est une bonne nouvelle, mais très majoritairement par des femmes…
Sveva Saglimbeni : Effectivement. Pourtant l’événement a bien été conçu pour s’adresser à tous et toutes. Il était important pour nous de nous adresser plusieurs publics : celui déjà convaincu comme à celui qui a encore tout à découvrir de l’écoféminisme. Cela étant dit, de nombreux hommes sont venus en manifestant un réel intérêt. Une agréable surprise pour tout vous dire !
Propos recueillis par Sylvain Allemand
Pour en savoir plus sur l’association Minerva et l’Écofemmes Fest, cliquer ici.
