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Quand arts et sciences entrent en résonance

Entretien avec Élise Colin

Le 4 novembre dernier, l’IDEEV (cinq lettres pour Institut Diversité Écologie et Évolution du Vivant) accueillait une « journée de couplage art-science », ouverte au grand public. Au programme : une succession d’interventions, la plupart de duos de chercheurs et d’artistes présentant les fruits d’une collaboration, en plus de l’opportunité d’y découvrir l’exposition « Être à la Nature » qui se poursuit jusqu’au 31 décembre 2025. Nous y étions et pas au bout de nos surprises. La première : celle de découvrir que ce programme s’inscrit dans un des quatre « axes de résonance » proposé par Le Sas (un groupe science-art-société), directement inspirés du philosophe et sociologue allemand Hartmut Rosa que nous avions eu l’occasion de revoir quelques mois plus tôt à Cerisy-la-Salle (Manche), lors du colloque qui lui avait été consacré – et dont nous avons rendu compte à travers une série d’entretiens à retrouver sur notre blog. Une surprise qui s’ajoutait à celle (mais en était-ce une quand on sait son appétence pour le dialogue art-science ?) de croiser l’auteure d’Échos d’en haut (Sérendip’éditions, 2025), Élise Colin, invitée à y intervenir sur une variation de la conférence qu’elle avait donnée le 18 septembre dernier, au Lumen, dans le cadre des conférences « Science à la coque ». Une intervention sur un sujet on ne peut plus scientifique, réalisée en… alexandrins !

– Quelle surprise ! Je vous retrouve à l’occasion de cette journée de couplage art-science, qui se déroule à l’IDEEV. En même temps, au vu de votre double appétence pour la recherche scientifique et la création artistique, c’est un événement dans lequel vous aviez toute votre place. Cela étant dit, pouvez-vous rappeler les circonstances précises qui vous y ont amenée ?

Élise Colin : Au risque de vous surprendre encore, je suis la première surprise de me retrouver ici ! [Rire]. Il y a quelques jours, je l’ignorais encore. J’ai eu cependant l’occasion de croiser son organisateur, « Ikse » Maître [physicien et chercheur CNRS au laboratoire d’Imagerie Biomédicale Multimodale de Paris-Saclay, et porteur de la Chaire art-science] en diverses occasions. La première fois, c’était en 2023, lors d’un séminaire scientifique relatif à l’imagerie biomédicale ; Ikse a pu ainsi découvrir mes travaux sur le speckle dynamique appliqué à la microcirculation sanguine sous la peau, et moi les siens, ainsi que son projet de Chaire art-science. Il m’a également permis de rencontrer Sarah Fdili Alaoui pour discuter sur les rapports entre danse et science, dans la perspective des interactions Homme / Machine. Il a donc repris contact avec moi voici quelques jours pour me proposer de participer à cet événement. J’ai naturellement été flattée de sa proposition et l’ai acceptée aussitôt. Nous avons échangé sur la forme que pourrait prendre mon intervention. Comme il m’avait parlé de « sève cosmique », – qui est précisément le titre de l’image n°X figurant dans Échos d’en Haut[1] – je lui ai évoqué l’intervention que j’avais faite au Lumen, le 18 septembre dernier, dans le cadre des conférences « Science à la coque, sur le thème « Décoder le mouvement du vivant à travers la lumière ». Intervention que j’avais faite en alexandrins… Je lui ai envoyé le lien pour qu’il puisse se faire une idée précise.

Elle sourit.

– Et cela lui a plu, sans quoi vous ne seriez pas là…

Élise Colin : Oui, à ceci près qu’il y eut quand même erreur sur la personne… [Rire].

– ?! Expliquez-vous…

Élise Colin : Depuis le début de nos échanges sur ce projet d’intervention, c’est à une autre Élise à laquelle Ikse pensait – Élise Morin en l’occurrence, une artiste plasticienne qui travaille sur des thématiques pas si éloignées puisqu’elle développe notamment une pratique interdisciplinaire destinée à interroger notre relation au visible et aux modes de coexistence. Heureusement, le même Ikse y a vu plus un hasard heureux qu’un motif de contrariété…

– Un « hasard heureux » dites-vous… J’y vois une manifestation éclatante de sérendipité !

Élise Colin : Ou de synchronicité ? [Rire]. Toujours est-il que je n’avais pas imaginé participer à ce genre d’événement, en tout cas avoir la légitimité de le faire. Mais, après tout, me suis-je dit, si je me suis spontanément sentie concernée dès l’instant où Ikse m’en a parlé, c’est que je devais quand même l’être un peu !

– Évidemment ! Cela dit, ce « hasard heureux » ne l’a pas été pour tout le monde, à commencer par cette artiste pressentie dont, sans le vouloir, vous avez pris la place !

Élise Colin : Non, pas du tout ! Elle n’était pas disponible ce jour et a donc été conviée à participer à un autre événement qui se tiendra en décembre de cette année.

– Un mot sur votre intervention qui a été non pas une reprise à l’identique de cette conférence donnée au Lumen, mais une variation…

Élise Colin : Ayant été sollicitée, comme je l’ai dit, il y a quelques jours, je n’avais pas le temps de faire un exposé en repartant de zéro. J’ai cependant pris celui d’adapter ma présentation qu’il me fallait de toute façon réduire – je disposais de moitié moins de temps. J’ai pu cependant reprendre plus d’éléments que je ne le pensais, en adoptant un autre point de vue, celui d’un arbre – un hêtre en l’occurrence -, que je fais parler…

– … au prisme de l’imagerie médicale…

Élise Colin : Imagerie que je qualifierai désormais plutôt de biologique puisque je l’applique non plus à la circulation sanguine mais à celle de la sève d’une feuille. Ce qui a exigé de nous, scientifiques, de développer, depuis maintenant près de deux ans, de nombreuses modélisations de façon à comprendre comment accéder aux mouvements de cette sève, des mouvements beaucoup plus lents que ceux du sang en circulation dans le corps humain.

– Précisons que vous avez de nouveau fait le commentaire de vos visuels en alexandrins… Loin de n’être qu’un artifice, une décoration pourrait-on dire – ce qui n’en resterait pas moins une performance -, c’est une manière de faire ressentir la pulsation même de la sève. Du moins est-ce ainsi que je l’ai ressenti. Est-ce d’ailleurs ce qui motivé votre choix d’intervenir en alexandrins, au-delà, du plaisir que doit procurer le fait d’en écrire ?

Élise Colin : Initialement, il n’y avait pas d’autre objectif que celui de s’amuser et d’expérimenter quelque chose. Je voulais tout simplement savoir ce que cela donnerait le fait de me livrer à cet exercice-là et comment il serait accueilli par un public, sans donc la moindre idée préconçue sur le résultat. Maintenant, avec le recul dont je dispose à la suite de ces deux premiers essais, je retiens que cela semble avoir pour effet d’orienter autrement la réflexion scientifique. J’en veux pour preuve les commentaires de collègues qui disent avoir saisi de mon travail d’autres aspects que ce qu’ils en connaissaient. Autrement dit, le fait de changer la forme de l’exposé, d’en adopter une très différente de la communication scientifique classique, déplace l’attention sur d’autres considérations. Même des collègues ayant l’habitude de travailler avec moi, qui connaissent donc bien mes travaux, me disent en substance que cette manière originale de les présenter leur en font comprendre d’autres enjeux en apportant un éclairage différent. Pour ma part, je retenais d’abord la dimension poétique de l’exercice, mais le fait de devoir tenir sur un laps de temps aussi long (10 à 20 mn) me fait maintenant ressentir des ressorts plus dramaturgiques sinon théâtraux au sens où j’ai l’impression de plus incarner la recherche.

– N’y a-t-il pas aussi de votre part une sorte de coup de force destiné à affirmer, en l’assumant, la « case » littéraire de la chercheuse que vous êtes par ailleurs ?

Élise Colin : Il y a probablement un peu de cela [sourire]. Le fait est, j’aime beaucoup écrire y compris dans des formes un peu rigides comme celle de l’alexandrin. J’aime bien l’exercice de style, écrire dans un cadre imposé. C’est peut-être en cela que l’écriture a peut-être à voir avec la démarche scientifique et même mathématique dont la rigueur repose sur le respect de contraintes dans la manière de formuler les choses. À mon sens – c’est en tout cas ainsi que je la perçois -, la poésie, dans sa forme la plus classique, ne fait que proposer un cadre qui, pour être formel, n’entrave en rien la créativité. Au contraire, elle permet de s’exprimer en restant au plus près de sa sensibilité.

 – Dans ce que vous venez de dire, j’entrevois des affinités possibles entre la création littéraire et plus généralement artistique, et la démarche scientifique, dans la mesure où, de part et d’autre, on retrouve quelque chose de l’ordre du « protocole », et pas simplement du simple surgissement. Autrement dit, la littérature procède aussi avec méthode, selon des règles…

Élise Colin : En effet. Qu’on songe ne serait-ce qu’à la grammaire, à la syntaxe… La littérature est aussi une école de la rigueur !

– Nous sommes à mi-chemin de cette journée consacrée au dialogue art-science. Nous avons déjà eu l’occasion d’entendre de riches retours d’expérience de projets artistico-scientifiques. Que voudriez-vous mettre en exergue dans ce que vous avez entendu ?

Élise Colin : Cette journée m’aura déjà permis de rencontrer des chercheurs et artistes avec lesquels je suis convenue de poursuivre la discussion ! Notamment sur un sujet qui me préoccupe désormais, à savoir : la connaissance de la physiologie de la plante et ses dynamiques. Un domaine qu’il me faut encore explorer. La thématique de la journée étant « Être à la nature », plusieurs biologistes ont répondu présent, que ce soit pour intervenir ou découvrir le travail de leurs collègues. Je ne demande qu’à discuter avec eux en particulier. 

J’aimerais aussi pouvoir poursuivre les échanges avec des artistes. Cela est toujours propice à l’ouverture sur d’autres pistes, y compris pour la chercheuse que je suis. Je pense en particulier à cette artiste, Araks Sahakyan, dont les tableaux réalisés au feutre, relativement au changement climatique, me font penser à des images de télédétection sur la fonte des glaces – une thématique sur laquelle je suis amenée à travailler – mais aussi aux tableaux que moi-même je commence à réaliser chez moi ! Tant et si bien que je me demande pourquoi je n’emboiterais pas les pas de cette artiste dans la manière de restituer des résultats de recherche à base d’imagerie radar spatiale !

Je pense également à ce jongleur découvert dans une vidéo projetée par une intervenante, neuroscientifique, qui travaille avec lui. Il se trouve que parmi nos étudiants, il y avait justement un jongleur qui vit avec une personne ayant fait sa thèse en neuroscience ! À se demander si ces deux univers apparemment très éloignés l’un de l’autre n’auraient pas beaucoup de choses à se dire. C’est bien sûr une hypothèse gratuite, mais que je ne peux m’empêcher d’évoquer ! C’est en tout cas bien une illustration supplémentaire de ce que la rencontre entre des champs artistiques et scientifiques, même très éloignés, peut être fructueuse.

– Précisons que vous êtes intervenue en solo, à la différence des autres scientifiques venus témoigner en duo avec leur partenaire artiste. Cela vous a-t-il donné envie de vous associer avec l’un d’eux/l’une d’elles ?

Élise Colin : Oui, tout à fait ! C’est pour tout dire ce qui m’a convaincue de répondre à l’invitation d’Ikse Maître. J’avais pris soin cependant de préciser que je risquais de dépareiller par rapport aux autres présentations, « duales ». Scientifique, je ne travaille pas encore en association avec un.e artiste. Ce à quoi à ami, Jérôme Michaut, à qui je faisais part de mes scrupules, m’a très justement répondu que je n’avais pas forcément besoin de rentrer dans une case, scientifique ou artiste, que je pouvais explorer moi-même simultanément les champs scientifique et artistique. C’est vrai. Il n’empêche, si un.e artiste avait envie de partir en exploration avec moi, j’en serais fort aise !

– À bon entendeur.euse salut !

L’entretien se clôt dans un éclat de rire.

Propos recueillis par Sylvain Allemand


[1] Pour y accéder, cliquer ici.

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