Les textes qui suivent sont les légendes des images radar figurant dans le cahier central d’Echos d’en haut. Images radar en toutes lettres, le livre dans lequel son auteure, Elise Colin, fait découvrir le monde de l’imagerie radar à travers un récit personnel, celui de doctorante puis de chercheuse et d’entrepreneure innovante, de femme, mère de deux enfants. Pour ne pas rompre la tonalité littéraire de l’oeuvre, il nous a paru préférable de ne pas y insérer l’explication des procédés techniques ayant présidé à la conception de ces images. Considérant que cette explication n’en restait pas moins précieuse, nous avons opté pour cette solution de compromis consistant à permettre au lecteur d’y accéder au moyen du QR Code figurant à la fin de l’ouvrage. Bonne lecture !
Image I – Delta Neuronal : Fractales d’eau et de sédiments
Lors de ma première observation de cette région, le réseau complexe de chenaux, de marécages et de dépôts sédimentaires m’a irrésistiblement évoqué la structure dendritique d’un neurone.
Cette image, capturée en 2024 par le satellite radar Sentinel-1, représente une zone proche du delta du Mississippi. Elle est présentée ici en fausses couleurs, obtenues en combinant les canaux de polarisation VV et VH. Les teintes finales résultent d’une transformation manuelle réalisée avec le logiciel open source GIMP, sans algorithme scientifique particulier, mais avec une approche résolument picturale.
Cette formation géographique singulière m’est apparue au détour d’une étude consacrée à la détection des nappes d’hydrocarbures. La marée noire provoquée par l’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, survenue le 22 avril 2010 à environ 60 kilomètres des côtes de la Louisiane, a en effet plongé le delta du Mississippi sous les projecteurs d’une catastrophe écologique, scrutée par des constellations de satellites. Les images Sentinel-1, toutefois, n’ont pas été témoins de cet événement, leur mission ayant débuté bien après la tragédie.
Image II – Échos croisés : quand radars du haut et radars du bas se parlent
Les motifs intrigants visibles ici résultent d’interférences complexes entre les signaux émis par des radars terrestres — très probablement des systèmes de surveillance militaire conçus pour détecter les menaces aériennes — et les ondes captées en retour par le capteur Sentinel-1, en orbite.
Ces structures se déploient sous forme de bandes alignées selon l’axe de distance radar, leur agencement étant directement influencé par les modulations de fréquence utilisées par les radars au sol.
Cette image repose sur la composition colorée REACTIV, réalisée à partir d’un ensemble d’acquisitions Sentinel-1 prises à différentes dates au large des côtes du Qatar. Chaque teinte traduit une signature temporelle distincte, révélant la superposition des signaux radar et offrant ainsi une cartographie inédite de ces interférences persistantes.
Depuis 2023, des algorithmes avancés sont déployés pour filtrer ces interférences dans les images Sentinel-1. Pourtant, certains échos résistent à ce « nettoyage » numérique. En exploitant la richesse des informations polarimétriques, des traitements spécifiques permettent encore d’en extraire la trace, même lorsqu’elle est infime.
Référence :
Colin, E., & Nicolas, J. M. (2020). Change detection based on the coefficient of variation in SAR time-series of urban areas. Remote Sensing, 12(13), 2089.
Image III – Plongée turquoise autour des Îles Riau
Cette composition colorée met en lumière les contours des îles indonésiennes de la province des Riau, au sud de Singapour. Elle résulte de la fusion de plusieurs images Sentinel-1, où les teintes de bleu et de vert traduisent des critères statistiques polarimétriques spécifiques. Ces couleurs ont été attribuées à deux mesures clés : les coefficients de variation temporels multivariés minimum et maximum, développés pour détecter les dynamiques de changement au sein des séries temporelles polarimétriques.
Le coefficient de variation minimum révèle des dynamiques différentielles entre les canaux polarimétriques, tandis que le coefficient de variation maximum capte l’ensemble des changements.
Ce formalisme doit beaucoup à la contribution inestimable de mon collègue Razvigor Ossikovski, dont la rigueur scientifique a constitué un socle essentiel pour affiner ces indices.
Référence :
Colin, E., & Ossikovski, R. (2024). Towards a Unified Formalism of Multivariate Coefficients of Variation: Application to the Analysis of Polarimetric Speckle Time Series. Journal of the Indian Society of Remote Sensing, 52(12), 2625-2636.
Imafe IV – Géométries fertiles : irrigation en cercles au Texas
À grande échelle, l’agriculture est l’un des marqueurs les plus visibles des transformations rapides du territoire, avec ses cycles de croissance, de récolte et de régénération. Les formes circulaires emblématiques qui structurent cette image ne doivent rien au hasard : elles révèlent la signature d’une technique d’irrigation caractéristique, le pivot central. Ce dispositif, largement répandu aux États-Unis, fonctionne par rotation autour d’un point fixe, arrosant progressivement les parcelles en dessinant ces motifs géométriques.
Cette image résulte d’une série temporelle d’acquisitions Sentinel-1, capturée au-dessus de zones agricoles du Texas. La composition colorée REACTIV attribue des teintes distinctes aux dates attribuées aux changements ou des évolutions dynamiques particulières.
Conçu pour détecter les transformations de l’occupation des sols, l’algorithme REACTIV met ici en lumière bien plus que de simples transitions : il révèle la richesse insoupçonnée des dynamiques agricoles. Ces dynamiques ont ensuite été réexaminées à l’aide d’outils d’intelligence artificielle, notamment par les techniques d’auto-encodage profond, dans le cadre de la thèse de Thomas Di Martino.
Référence :
Di Martino, T., Guinvarc’h, R., Thirion-Lefèvre, L., & Colin, E. (2022). FARMSAR: Fixing Agricultural Mislabels Using Sentinel-1 Time Series and Autoencoders. Remote Sensing, 15(1), 35.
Image V – Manhattan en pixels
Dans cette image d’une résolution spatiale d’un mètre, les gratte-ciels de Manhattan se transforment en un damier régulier de points lumineux, chacun correspondant à l’écho d’un objet réfléchissant. Ces signaux radar, générés par les façades des bâtiments, permettent même d’estimer le nombre d’étages de certaines structures, révélant ainsi des informations précieuses sur l’architecture urbaine.
Cette image est issue d’une acquisition TerraSAR-X centrée sur Manhattan. Avec l’amélioration constante de la résolution spatiale des capteurs radar, notre capacité à décoder la complexité des paysages urbains s’intensifie. Pourtant, cette avancée s’accompagne de nouveaux défis : la géométrie particulière de l’imagerie radar, avec ses effets de projections et d’interférences, complexifie l’interprétation des structures en trois dimensions.
Les recherches actuelles en interprétation d’images radar s’orientent vers des méthodes avancées de restitution 3D, visant à repositionner ces points lumineux sur des modèles tridimensionnels précis. Cette approche ouvre de nouvelles perspectives : un voyage en trois dimensions à travers le monde, vu à travers les yeux du radar. Ce regard, à la fois technique et esthétique, s’inspire du travail remarquable de mon collègue et ami Olivier Denis.
Image VI – Entre terre et Acier : les ponts de Pittsburgh
Cette image met à l’honneur deux ponts emblématiques de Pittsburgh : le Pont du Fort Duquesne et le Pont du Fort Pitt. Elle a été produite à partir de données UMBRA en bande X, acquises en mode dwell — une technique innovante qui consiste à concaténer plusieurs images issues de sous-ouvertures, permettant ainsi de générer de courtes vidéos et d’exploiter une résolution exceptionnelle.
Grâce à la bienveillance et aux conseils avisés de mes interlocuteurs chez UMBRA, j’ai pu accéder à ces précieuses images, capturées avec une résolution remarquable de 50 cm par sous-ouverture. Pour réaliser cette composition, j’ai appliqué le procédé REACTIV, mais au lieu de comparer des dates d’acquisition différentes, j’ai choisi d’exploiter des angles d’observation légèrement variés afin de révéler les subtilités structurelles des ponts.
Les données UMBRA s’inscrivent dans un mouvement d’open data, offrant un potentiel immense pour la recherche scientifique et l’exploration de nouveaux traitements d’images radar. Animée par une pointe de chauvinisme, j’ai d’abord appliqué ce même traitement aux données UMBRA de Paris, au grand amusement (et peut-être au désarroi) de mes interlocuteurs chez UMBRA, qui, je l’espère, auront pardonné cet élan nationaliste innocent.
Quoi qu’il en soit, les arcs-en-ciel chromatiques qui se dessinent sur les ponts de Pittsburgh illustrent magnifiquement richesses architecturales de la ville, mettant en lumière les interactions subtiles entre géométrie et signal radar.
Référence
Taillade, T., Colin, E., & Albinet, C. (2024, July). FoPen Man-Made Objects Detection with P-band SAR Sub-Aperture Analysis. In IGARSS 2024-2024 IEEE International Geoscience and Remote Sensing Symposium (pp. 9766-9769). IEEE.
Image VII – Les couleurs cachées de la Tour Eiffel
Cette image de la Tour Eiffel a été réalisée à partir d’une série de 24 images d’archives TerraSAR-X, acquises en mode staring spotlight, qui offre la résolution spatiale la plus fine disponible pour ce capteur. L’image finale résulte d’un traitement avancé, combinant une intensité filtrée temporellement, après un recalage précis des images effectué grâce à l’algorithme de flot optique Gefolki.
Les teintes colorées proviennent de la phase interférométrique d’un couple d’images. Elles traduisent principalement des variations de hauteur, mais révèlent aussi des déformations subtiles, comme celles induites par la dilatation thermique des matériaux de la structure. La saturation des couleurs est quant à elle indexée sur le niveau de cohérence interférométrique, un indicateur clé de la stabilité structurelle entre deux acquisitions radar.
Monument emblématique de l’interférométrie radar, la Tour Eiffel a été intégrée à nos recherches grâce aux suggestions précieuses de Jean-Marie Nicolas, dans le cadre de la thèse de Flora Weissgerber. L’étude a également bénéficié de précieuses données techniques fournies par la SETE (Société d’Exploitation de la Tour Eiffel), dont les contributions ont grandement enrichi l’analyse des résultats.
Référence
Weissgerber, F., Colin-Koeniguer, E., Nicolas, J. M., & Trouvé, N. (2017). 3D monitoring of buildings using TerraSAR-X InSAR, DInSAR and PolSAR capacities. Remote Sensing, 9(10), 1010.
Image VIII – Orientation et Polarisation des Paysages Urbains toulousains
Les structures tripodes visibles sur cette image correspondent aux bâtiments universitaires emblématiques du complexe scientifique de Rangueil, véritable cœur de l’innovation à Toulouse.
L’image a été réalisée à partir d’une série d’acquisitions des capteurs TanDEM-X (les deux jumeaux TerraSAR-X). La teinte des couleurs traduit l’orientation de l’ellipse polarimétrique, calculée à partir des canaux HH et HV, tandis que la saturation indique le degré de polarisation, mesuré sur la même série temporelle. Ce dernier paramètre atteste de la stabilité du comportement polarimétrique de rétrodiffusion des surfaces observées.
L’intensité de l’image correspond à une intensité moyenne obtenue par filtrage temporel, après un recalage précis des données assuré par l’algorithme de flot optique GeFolki.
L’acquisition de ces données a été rendue possible grâce à la précieuse collaboration de Paola Rizzoli (DLR), dans le cadre des recherches menées pour le projet AI4VEG, en partenariat avec Karine Adeline. Ce projet vise à suivre l’état de santé des arbres en milieu urbain, en combinant l’analyse des images radar avec d’autres types de données : hyperspectrales, thermiques et LIDAR.
Référence
Colin, E. (2023). PolTimeSAR: Link between the measurement of a time series of N Jones vectors, and the measurement of a single Stokes vector integrating all these measurements. Application to (HH, HV) or (VH, VV) SAR time series.
Image IX – Apprentissage Profond en Himalaya
Cette image du glacier Kyagar, situé dans la chaîne de l’Himalaya, a été produite à partir d’une série temporelle d’images Sentinel-1.
Ce glacier est particulièrement connu pour ses épisodes de surges (poussées glaciaires) fréquents. Ces surges se caractérisent par une accélération soudaine du mouvement glaciaire, suivie d’une décélération progressive.
Les couleurs primaires représentent trois coefficients, appelés embeddings ou représentations latentes, extraits grâce à un processus d’apprentissage profond d’autoencodage. Chaque teinte met ainsi en évidence des dynamiques glaciaires distinctes, projetées par apprentissage machine dans un espace mathématique non linéaire.
Ce travail a été réalisé dans le cadre de la thèse de Thomas di Martino, avec la contribution de Laurane Charrier, spécialisée dans l’application de ces méthodes innovantes à l’étude des glaciers. Ensemble, ils ont ouvert la voie à une analyse glaciologique augmentée par l’intelligence artificielle, permettant d’aborder la complexité des milieux glaciaires sous un prisme inédit.
Référence
Charrier, L., di Martino, T., Colin Koeniguer, E., Weissgerber, F., & Plyer, A. (2022). Extracting Relevance from SAR Temporal Profiles on a Glacier and an Alpine Watershed by a Deep Autoencoder. The International Archives of the Photogrammetry, Remote Sensing and Spatial Information Sciences, 43, 1309-1316.
Image X – Sève cosmique
Cette image révèle le déclin progressif d’une feuille de figuier, plusieurs heures après sa coupe. Les variations de teintes traduisent des dynamiques complexes, résultant des mouvements lents de flétrissement, de la circulation de la sève, et de l’apparition de taches de déshydratation, véritables marqueurs de la réaction de la feuille au stress hydrique.
Elle a été réalisée à partir de l’observation de la feuille au cours du temps après sa coupe, grâce à un instrument laser de speckle dynamique développé par Xavier Orlik (Onera). Les trois couleurs primaires représentent les trois coefficients principaux obtenus par une analyse en composantes principales (ACP), appliquée aux coefficients de Fujii. Ces derniers sont des indices de contraste, calculés entre deux images successives, mesurant les corrélations d’intensité lumineuse, elles-mêmes reliées aux micro-mouvements internes de la feuille.
Ces coefficients sont évalués pour différents pas d’échantillonnage temporel, produisant des signatures de contraste uniques à chaque pixel, ensuite analysées par ACP.
Ce travail s’inscrit dans une collaboration scientifique avec mon estimé collègue Enrique Garcia Caurel, dont la rencontre n’aurait pas été possible sans les thèses de Nicolas Trouvé et Étienne Everaere, codirigées par Antonello di Martino.
Référence
Colin, E., Garcia-Caurel, E., Adeline, K., Plyer, A., & Orlik, X. (2024, November). Real-Time Observations of Leaf Vitality Extinction by Dynamic Speckle Imaging. In Photonics (Vol. 11, No. 11, p. 1086). MDPI.
Image XI – L’empreinte humaine en couleur au large de La Haye
Cette image a été produite au large de La Haye, aux Pays-Bas. Les petits confettis colorés, alignés en deux lignes parallèles, correspondent à des bateaux en circulation, traçant de véritables routes temporelles sur la mer. Les amas de points signalent des zones de mouillage, où les navires stationnent plus longuement. Lorsqu’ils forment des motifs réguliers en réseau, ces points peuvent également correspondre à la présence de parcs éoliens offshore, organisés selon des grilles géométriques précises, dont le nombre s’est accru de manière spectaculaire ces dernières années.
L’image est une composition colorée REACTIV, conçue à partir d’une série d’images Sentinel-1. Chaque point coloré traduit la détection d’un objet dont la position a varié entre deux acquisitions.
La première personne à m’avoir guidée dans l’interprétation de ces routes maritimes — que j’avais d’abord perçues comme de simples artefacts, en les observant à des échelles inadéquates — est ma très chère amie Gaëlle Sofias, professeure d’histoire-géographie et de et de HGGSP. Quand la science des données rencontre la lecture des territoires…
Cette image fusionne deux univers visuels distincts, pourtant unis par une même logique d’observation des dynamiques, à travers le phénomène du speckle.
Image XII – Prendre soin de la planète, prendre soin de l’humain
La première composante repose sur une série temporelle d’images Sentinel-1 acquises en Chine, dans la province de Canton. Elle met en lumière l’activité fluviale et l’expansion urbaine.
La seconde image est issue de l’observation de la circulation sanguine des capillaires du visage, capturée par Xavier Orlik à l’aide de la technologie laser de speckle dynamique. Appliquée à son visage, on distingue notamment un fragment de l’artère nasale, située à environ 3 mm sous la surface de la peau.
Pourtant, ces deux approches s’opposent : l’ordre des dynamiques est inversé entre le radar satellitaire et l’imagerie laser.
Une palette de couleurs Inferno a été choisie pour garantir une accessibilité optimale, notamment aux personnes atteintes de déficiences de perception des couleurs.
Enfin, les deux images ont été fusionnées en un fondu enchaîné, créant ainsi un continuum visuel entre le battement des rivières et celui du sang.
Toutes les images présentées sont des créations de l’auteur, en appliquant divers traitements à diverses sources de données satellitaires ou d’acquisition propre en speckle dynamique laser (ITAE Medical Research). Les images Sentinel-1 utilisées sont issues du programme Copernicus de l’ESA, de 2016 à 2024. Les images UMBRA sont distribuées sous licence Creative Commons, les images d’archives TerraSAR-X et TanDEM-X proviennent du German Satellite Data Archive (D-SDA) acquises grâce au DLR (Centre aérospatial allemand), dans le cadre de licences d’exploitation scientifique, au travers des propositions scientifiques LAN2939, OTHER0103 et LAN3897.