Nous y étions

Retour de Saint-Dié-des-Vosges, capitale de la géographie

Deux de nos auteurs, Catherine Véglio et Paul Claval, étaient au salon du livre du Festival international de géographie (FIG) de Saint-Dié-des-Vosges début octobre, sur le stand de… Sérendip’Éditions ! Récit de ces journées « géo-inspirantes ». 

C’est l’histoire d’un « micro-éditeur qui scrute le monde » et qui ne pouvait pas ne pas en être. À éditer des géographes et non des moindres – Paul Claval, Alain Musset,… – vous vous décidez  un jour à prendre la direction de l’est pour participer au festival du livre du FIG, qui, cette année 2025, en est à sa 36e édition.

TGV pour Nancy puis TER Fluo jusqu’à destination, avec des arrêts à Lunéville – et son château, « le Versailles lorrain » -, à Baccarat – et son cristal à la renommée mondiale -, à Étival-Clairefontaine – et ses beaux cahiers d’écoliers ; attention, ne pas dépasser la ligne ! C’était presque une frontière, tracée en bleu, et nous nous appliquions à former de belles lettres. Un souvenir des temps d’avant l’ordinateur et déjà un certain apprentissage de la géographie.

Le pouvoir des cartes

À peine arrivés en gare de la cité déodatienne, marraine du Nouveau Monde[1], nous foulons une grande carte de 36 m2 posée au sol par les bons soins de l’IGN et intitulée « Le pouvoir des cartes pour représenter le monde ». Le festivalier est d’emblée mis dans le bain : cette année le thème du FIG est le pouvoir.

À ses pieds, il lira, entre autres, que la projection de Hao Xiaoguang, chercheur à l’Institut de géodésie et géophysique de Wuhan, créée en 2013, « place la Chine au centre du monde, avec les deux pôles nord et sud, voire avec un troisième pôle au niveau de l’Himalaya, placés sur l’axe central de la carte. L’Amérique est scindée en deux et rejetée vers l’extérieur de la carte, tout comme l’Europe. Cette représentation du monde est devenue la carte officielle de la République populaire de Chine en 2013 »[2].

La portée politique des cartes est largement étudiée par les géographes. Dans une récente intervention, le géographe, diplomate et ancien ambassadeur Michel Foucher[3], un habitué du FIG que nous croiserons au festival du livre, évoque une Chine qui développe « la politique de sa géographie ». 

À notre échelle, stratégiquement parlant, nous sommes ravis de notre position. Le stand de Sérendip’Éditions est idéalement placé, tout près de l’îlot central occupé par la librairie Le Neuf. Merci à son gérant passionné, Olivier Huguenot, chef d’orchestre du festival du livre. Son équipe et celle de Carole Bluntzer, côté mairie, donnent le ton : la convivialité, l’attention, la disponibilité et la bonne humeur. Même si nous n’avons jamais joué à la marchande avec un TPE (terminal de paiement électronique), nous sommes plein d’entrain et feuilletons avec gourmandise le riche programme du FIG, énumérant toutes les belles conférences où nous n’irons pas.

Le charme du « micro »

L’heure est à la mobilisation autour des quelques dizaines de livres estampillés Sérendip’Éditions. Didier Boileau, mon mari, les dispose sur les trois tables – quel espace, c’est Byzance pour nous qui ne devions n’en avoir qu’une ! –  avec un art consommé de l’organisation. On ne passe pas sa vie à s’évertuer à faire sortir des journaux quotidiens à l’heure sans parfaire cette qualité.

De l’autre côté de l’allée, chez Le Neuf, les cartons posés sur d’impressionnantes piles d’ouvrages indiquent les noms des auteurs en dédicace au cours des trois jours. Parmi ceux-ci, Michel Bussi, l’auteur aux 12 millions de livres vendus, Pierre Haski, le journaliste spécialiste du Moyen-Orient, Matthieu Ricard, le célèbre moine bouddhiste. Nous sommes assurés de voir se former des files de lecteurs, qui sont en majorité des lectrices. Il y aura du monde me dis-je et…  il y en a eu à tous les stands – des étudiants et des scolaires le vendredi, les « vrais lecteurs » plutôt en matinée le week-end et les inévitables mais néanmoins pittoresques promeneurs du dimanche avec ou sans chiens.

Je suis parachutée « ambassadrice de Sérendip’Éditions ». C’est là tout le charme du « micro », l’éditeur rationalise, économise, avise (j’éviterai « budgétise » par ces temps où ce vocable nous entraîne dans d’insondables vertiges) et sachant que je suis quelque peu la « locale de l’étape » parce qu’un cousin hospitalier m’offre gîte et couvert / que ma mère est native du coin / que je suis revenue enchantée l’an dernier de mon expérience d’auteure invitée pour Des vies sans refuge et lui ai soufflé que Sérendip, tout de même, devrait y aller… Et bien, j’y suis! Soyons simple, laconique : j’aime ce festival et je suis heureuse d’y revenir même sous la pression que recouvre la dénomination « ambassadrice ».

De Jean Malaurie à Paul Claval

Le FIG, pour moi, restera à jamais marqué par la figure de Jean Malaurie. J’avais tellement rêvé des terres arctiques depuis l’enfance, lisant et relisant Paul-Émile Victor puis Malaurie et des récits de la collection Terre Humaine dédiés à la sagesse des peuples premiers que j’ai fait la première fois le voyage pour le FIG en 1996, une édition présidée par le grand ethnologue et géographe. Quelle chance de le rencontrer et d’échanger quelques mots avec lui !

Il me faudra attendre près de trente ans pour faire le rapprochement : 1996 est aussi l’année où le prix Vautrin-Lud a été décerné à Paul Claval. La photo est belle : Jean Malaurie et les géographes Rémy Knafou, Roland Paskoff, Roger Brunet et Paul Claval… dont plusieurs récents ouvrages sont édités par Sérendip’Éditions et présentés sur notre stand ! Nous l’attendons et nous ne sommes pas les seuls. Des étudiants s’approchent et interrogent, « Il va venir Paul Claval? Mais quel âge a-t-il ? », « Je repasserai faire dédicacer le livre », « A quelle heure est sa conférence demain ? »

Ils sont au rendez-vous le samedi matin dès 9h30 pour entendre celui qui a renouvelé le champ de la géographie et développé une approche culturelle de cette discipline[4]. Paul Claval, qui travaille depuis plus de cinquante ans sur le thème du pouvoir[5], offre au public une intervention magistrale sur « La construction des géographies du pouvoir ». La salle du grand salon de l’hôtel de ville est comble, attentive au déploiement de cette pensée systémique qui embrasse recherche géographique, épistémologie et histoire des idées. Des jeunes assis à même le sol prennent des notes et reviennent sur le stand l’après-midi même pour rencontrer le maître, en dédicace.

Plusieurs générations défilent et nous ressentons de l’émotion à voir ces hommes et ces femmes –  certains issus de pays lointains comme ce jeune Indonésien inscrit à l’université de Genève (le pays invité du FIG était l’Indonésie) – raconter leur parcours à Paul Claval et témoigner de l’apport de son enseignement et de ses recherches à leur réflexion. Pendant ces discussions, je peine à formuler une dédicace à mon illustre voisin de stand qui, à peine installé à mes côtés, a décidé d’acheter mon livre Des vies sans refuge. Je trouve le lien, soulignant que ce récit imaginaire a quelque peu à voir avec de futures « géographies migratoires et alimentaires ».

Dès le lendemain matin, il me parle de Coumba, visiblement charmé par l’héroïne du roman. Nous évoquons les Peuls, il flotte comme un air d’Afrique autour de nous. Quelques minutes après son départ, nous accueillerons un Jacques Lévy déconcerté de « l’avoir raté ! » de si peu. Et le géographe de nous parler de son récent film « Gare du monde », une « fiction-science » sur la Gare du Nord à Paris, plus grand nœud ferroviaire d’Europe, dans laquelle des danseurs traduisent des concepts comme la mobilité, l’urbanité, la mondialisation. Arts et sciences, dialogue fécond.

Le savoir et l’émotion

À de rares moments, j’ai pu m’échapper de « mon » stand. L’aventure n’était souvent qu’à quelques mètres. C’est ainsi que j’ai vécu un moment précieux de ma vie de lectrice : In Koli Jean Bofane, auteur congolais vivant en Belgique et dont j’ai lu tous les livres, présente son dernier roman, Nation cannibale[6]. Il y est question, dans une langue ciselée par un humour au vitriol, des tribulations d’un écrivain congolais en Haïti et de « trois divinités prestigieuses » U, Co et Cu, « vivant dans l’obscurité du ventre de la Terre »… « Vers une confluence des imaginaires ? » m’écrit-il dans sa dédicace en emportant mon roman.

Vivre un salon du livre, c’est aussi cela, faire de belles rencontres avec d’autres auteurs et saisir le bonheur de la discussion avec des lecteurs. Les échanges que j’ai avec ceux-ci confirment que les gens sont inquiets, redoutent les conséquences du réchauffement climatique et ont vraiment conscience d’un basculement de notre monde. Je tente de convaincre une dame que le genre dystopique que je cultive dans mon roman n’est pas là pour nous résigner au pire. Bien au contraire, il nous invite à rester « éveillés », attentifs, combatifs comme Coumba…

Je croise la politologue Catherine Wihtol de Wenden[7] devant notre stand. Elle est venue débattre des défis humains des migrations. Elle me confie que ce sujet qu’elle explore depuis des décennies, est lié, comme il l’est pour moi, à son histoire personnelle. Notre discussion renforce ma conviction : le savoir a besoin d’être partagé de manière émotionnelle, au-delà des chiffres et de la nécessaire expertise. C’est ce que j’ai éprouvé en lisant Ukraine. La force des faibles[8] de la sociologue et politologue Anna Colin Lebedev, présente au festival et à laquelle je dis toute mon admiration pour cette société ukrainienne qui combat toute entière et intensément pour retrouver la paix.

Je salue l’économiste Jean Pisani-Ferry, installé à la même table de dédicace. Nous parlons de notre Europe, du constat lucide et désenchanté des trois décennies passées qu’il a dressé quelques jours avant, au moment de recevoir les insignes d’officier de la Légion d’honneur. Je lui confie que j’ai parfois l’impression d’avoir vécu un mirage, moi qui dansais de joie l’été 1990 devant le mur de Berlin démoli. Je me souviens qu’il était inscrit « Kapitalism über alles » sur un pan de béton encore debout . « Qu’avons-nous raté ? »

Notre monde n’est certes plus celui des années 1990 et, lors de la conférence de Paul Claval, Maryse Verfaillie, professeur honoraire en Khâgnes et secrétaire de l’association « Les cafés géographiques »[9] s’interrogeait : « Le Sud global va-t-il balayer la grammaire occidentale ? » Dans l’ouvrage[10] qu’il a co-écrit avec George Papaconstantinou, ancien ministre des Finances en Grèce, Jean Pisani-Ferry souligne que l’Europe et les États-Unis devront accepter une perte de pouvoir au sein des organisations multilatérales et reconnaître « la variété des préférences » pour jeter les bases d’une action collective à l’échelle internationale plus que jamais nécessaire. « Gardons espoir ! » m’écrit l’économiste dans sa dédicace. Tant que des lieux de culture, de débat et d’exigence intellectuelle comme le FIG existeront, nous le devons.

Catherine Véglio


Notes

[1] En 1507, un collège scientifique – les érudits du Gymnase vosgien – dirigé par le chanoine Vautrin-Lud, fixe sur une mappemonde une quatrième partie du monde dénommée pour la première fois America, en hommage à Amerigo Vespucci, le navigateur florentin. Saint-Dié en a retiré le titre honorifique de « Marraine de l’Amérique ».

[2] Sur ce sujet, Olga V. Alexeeva et Frédéric Lasserre, « Le concept de troisième pôle : cartes et représentations polaires de la Chine », Géoconfluences, octobre 2022.

[3] Intervention « Géographie et diplomatie » à l’Académie des sciences morales et politiques du 3 février 2025. Sur ce thème : Conseiller le Prince, à la lumière de la géographie politique, M. Foucher, L’Aube, septembre 2024.

[4] La géographie revisitée et augmentée, Paul Claval, Sérendip’Éditions, septembre 2025.

[5] Penser politiquement de monde, Paul Claval, Sorbonne Université Presses, 2024.

[6] Nation cannibale, In Koli Jean Bofane, Denoël, 2025

[7] Atlas des migrations. De nouvelles solidarités à construire, Catherine Wihtol de Wenden, Autrement, 2025.

[8] Seuil, juin 2025.

[9] Et qui se trouve avoir eu Sylvain Allemand, fondateur de Sérendip’Éditions, pour élève, en khagne, au Lycée Lakanal, à Sceaux, dans les Hauts-de-Seine – note de l’éditeur.

[10] Les nouvelles règles du jeu – Comment éviter le chaos planétaire, George Papaconstantinou, Jean Pisani-Ferry, Coll. La République des idées, Seuil, 2024.

0
    0
    Votre panier
    Votre panier est videRetour à la boutique
    Scroll to Top