Pouvoir assister à un colloque de Cerisy, à la genèse duquel nous avons assisté, à la suite de la publication du livre qui l’a inspiré (et que nous avions chroniqué à sa sortie), c’est ce qu’il nous a été donné de vivre du 25 au 31 juillet de cette année à travers celui sur « Les propagations : un nouveau paradigme pour les sciences sociales ? » (intitulé qui reprend très exactement le titre de l’ouvrage – paru en 2023, chez Armand Colin -, en prenant juste la précaution d’y ajouter un point d’interrogation…). En voici un premier écho à travers le témoignage de Pénélope Dufourt. Docteure en droit public et sciences de l’éducation, et prestataire pour l’Institut Robert Badinter, elle témoigne ici notamment de son intérêt pour l’approche interdisciplinaire du colloque.
– Pour commencer, pouvez nous dire ce qui a motivé votre venue à ce colloque de Cerisy ?
Pénélope Dufourt : Depuis le mois d’avril de cette année [2025], je travaille en tant que prestataire pour l’Institut Robert Badinter, partenaire de ce colloque. Il m’a été proposé d’y assister pour en faire un compte rendu, voir ce que le concept de « propagations » pourrait apporter aux recherches menées par cet institut.
– On connaît bien évidemment Robert Badinter, avocat et ancien ministre de la Justice. En revanche, on ne connaît pas forcément cet institut. Pouvez-vous nous en dire plus à son sujet ?
Pénélope Dufourt : Vous le connaissiez peut-être sous son ancien nom, l’Institut des études et de la recherche pour le droit et la justice. Le changement de nom est intervenu en juin de cette année. Il s’agit d’un groupement d’intérêt public né de la fusion de deux anciennes entités, l’Institut des Hautes Études sur la Justice et la Mission de recherche Droit et Justice. L’institut participe à la promotion et au soutien de recherches et réflexions interdisciplinaires sur le droit et la justice.
– Qu’est-ce qui vous a amenée à le rejoindre ?
Pénélope Dufourt : En novembre dernier, je soutenais une thèse interdisciplinaire en droit public et en sciences de l’éducation, à l’Université Paris-Nanterre – elle avait pour intitulé « Penser le droit à l’éducation aux droits humains au XXIème siècle » avec pour sous-titre « Pour une épistémologie juridique de la complexité ». Or, l’Institut Robert Badinter promeut des recherches interdisciplinaires, pour penser les questions de droit et de justice. J’étais donc naturellement intéressée de savoir ce qui s’y faisait et de travailler éventuellement avec lui.
– Comment avez-vous reçu cette mission d’assister au colloque de Cerisy ? Connaissiez-vous déjà le Centre culturel international de Cerisy et les colloques qui y sont organisés ?
Pénélope Dufourt : J’en ai bien sûr été ravie, même si je ne connaissais pas Cerisy ! Ayant fait des études philosophiques, de sciences politiques et de droit, j’étais a priori intéressée par l’ambition du colloque d’aborder les propagations dans la perspective des sciences sociales et de découvrir par la même des travaux de recherche en cours. Quant au lieu, j’ai très vite compris qu’il serait propice à des échanges de qualité.
– Nous sommes arrivés presqu’au terme de ce colloque. Quels enseignements en tireriez-vous ?
Pénélope Dufourt : Il m’est encore difficile de répondre à cette question ! Car, en vérité, c’est à l’occasion de ce colloque que j’ai pris la mesure de l’importance du travail de Dominique Boullier et de son ouvrage Propagations : un nouveau paradigme pour les sciences sociales [Armand Colin, 2023]. Si sa communication inaugurale m’a été bien utile tant elle était claire et a permis de poser le cadre des discussions, il reste qu’au fil des interventions suivantes, j’ai eu la sensation d’un élargissement des thématiques et des problématiques. Ce qui pour être stimulant n’en a pas moins rendu plus difficile le travail de digestion ! Je ne doute pas d’y parvenir, mais il me faut encore du temps et du recul.
Il se trouve que juste avant cet entretien, j’ai mis à profit le temps de pause dont on disposait pour échanger avec des collègues de l’Institut qui n’ont pas manqué de m’interroger sur ce que je retenais du colloque au stade où nous en étions. Je leur ai fait la même réponse. Je suis encore dedans et souhaite rester dans cet état d’immersion, quitte à ne pas encore toujours saisir le rapport d’une communication à l’autre ni dégager un fil conducteur en rapport avec les problématiques de l’Institut.
– Sans vouloir interférer dans votre travail de restitution, il me semble que, vu de l’extérieur, plusieurs contributions et discussions peuvent l’intéresser, à commencer par celles ayant traité des phénomènes de propagande, de désinformation, de rumeur, etc.
Pénélope Dufourt : Tout à fait ! De fait, tout ce qui touche aux pouvoirs des réseaux sociaux ne peut qu’intéresser l’Institut, de même que les enjeux de leur régulation. Dominique Boullier était d’ailleurs intervenu lors de l’Assemblée générale de l’Institut en mars dernier afin d’initier une réflexion sur l’impact des dynamiques virales dans l’espace public et judiciaire. On peut retrouver un entretien qu’il nous avait accordé sur le site de l’Institut Robert Badinter ; Dominique y explique notamment l’intérêt de reconsidérer le statut juridique des réseaux sociaux en y voyant des éditeurs et non plus de simples hébergeurs.
– Cela étant dit, à vous entendre, ce besoin de prendre du recul dit moins de l’éventuelle difficulté qu’aurait représenté le colloque, que d’une inclination naturelle chez vous à prendre le temps de la maturation…
Pénélope Dufourt : [Sourire]. Effectivement ! Je ne prétends pas avoir la vivacité d’esprit de certains intervenants ; j’ai besoin de laisser décanter les choses, ce qui me va aussi très bien ! Je revendique le droit de prendre le temps de digérer ce que je reçois, de prendre du recul, de relire mes notes – et dieu sait si j’en ai prises au cours de ce colloque – avant de me prononcer.
– Un colloque de Cerisy, c’est aussi une expérience particulière : il se déroule sur plusieurs jours – pas moins de six dans le cas de celui-ci – ; on y échange avec des intervenants mais aussi des auditeurs de différents horizons disciplinaires, professionnels, géographiques, à l’issue des communications ou à l’occasion des repas qu’on partage ensemble, le tout dans un environnement appréciable, un château avec son parc et ses dépendances, rythmé au son de cloches, celle qui annonce les repas, celle qui bat le rappel à la repise des séances… Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Pénélope Dufourt : Avec bonheur ! À Cerisy, on dispose de temps, comparé à des colloques scientifiques où les communications s’enchaînent sans réel temps de discussion avec les intervenants. Au contraire, ici, les communications sont réparties au cours de la journée de façon à laisser du temps aux échanges. Si je ne devais retenir qu’une chose, ce serait celle-ci : la sensation d’un temps qui s’étire. Je pense d’ailleurs que c’est la première chose que les participants viennent chercher à Cerisy. Sans doute que le fait d’être relativement isolé, environné d’un paysage apaisant, contribue-t-il à cette sensation d’une décélération.
Quant au fait de vivre en communauté durant plusieurs jours, de partager des repas avec des personnes qu’on ne connait pas forcément, quel plaisir ! Cela me rappelle une autre expérience que j’ai vécue du temps de ma thèse. C’était au château de Goutelas [Centre culturel de rencontre, situé dans le département de la Loire], qui accueille des séminaire d’écriture : la journée, nous nous retirions pour écrire, mais le soir, nous mangions ensemble, sans avoir à nous préoccuper de faire la cuisine.
– Précisons à l’attention de ceux qui ne sont pas encore venus à Cerisy, qu’on peut voir dans le château des photos de colloques antérieurs – y compris des « Décades de Pontigny» -, où figurent des personnalités de la littéraire et des sciences. De quoi intimider, non ?
Pénélope Dufourt : Intimider ? Ce n’est pas le mot que j’utiliserais. À voir tous ces chercheurs, penseurs, intellectuels, on comprend que ce lieu a une longue histoire, qui s’enracine dans un autre lieu, Pontigny. C’est plutôt réjouissant !
– Au terme de votre séjour, avez-vous acquis la conviction que Cerisy pourrait être un lieu propice pour accueillir un colloque porté par votre institut ?
Pénélope Dufourt : C’est précisément la question que je me suis posée non sans, au début, un certain scepticisme : au vu des personnalités qui se sont succédé à Cerisy, un.e jeune chercheur.e peut-il.elle seulement prétendre imaginer d’en organiser un ? Ma discussion avec Édith Heurgon m’a fait comprendre que, oui, c’était tout à fait envisageable ! De nombreux jeunes chercheurs, m’a-t-elle rappelé, y ont organisé des colloques avant de gagner en notoriété. Ce dont je me réjouis, car cela ouvre de belles perspectives.
Propos recueillis par Sylvain Allemand