Cela fait des années que nous attendons ce colloque autour de Hartmut Rosa et ses concepts clés (« Hartmut Rosa : Accélération, Résonance, Énergies sociales »), qui se déroulera du 30 août au 5 septembre prochain, au Centre culturel international de Cerisy (pour en savoir plus, cliquer ici). Sa genèse remonte au moins à 2021. Cette année-là, Hartmut Rosa intervenait au colloque « Les autres noms du temps » dirigé par les philosophes des sciences d’Étienne Klein et Vincent Bontems, du 24 au 30 juillet. Nous y étions !
Le projet d’un colloque autour du sociologue et philosophe allemand avait probablement germé bien avant dans l’esprit d’Édith Heurgon, la directrice du CCIC, intéressée de longue date par ses écrits. C’est d’ailleurs en référence à ceux sur l’accélération qu’elle en viendra à présenter le centre comme une « oasis de décélération ». Avec elle, nous avions par ailleurs assisté en 2018 à une rencontre Hartmut Rosa/Bernard Stiegler, organisée à l’initiative de l’Institut Goethe, à Paris.
C’est bien cependant au cours du colloque Klein-Bontems, que le principe de la programmation d’un colloque, autour de lui et de ses concepts, s’était précisé. Conquis par le lieu, Hartmut Rosa avait donné un accord de principe. À une condition, toutefois : qu’il y ait… un babyfoot ! Une condition à prendre au second degré, bien sûr, mais avec quand même un fond de sérieux que l’intéressé a bien voulu expliciter dans l’entretien qu’il nous a accordé lors du colloque Klein-Bontems (pour y accéder, cliquer ici). Toujours est-il que le CCIC prit la chose très au sérieux en se faisant livrer au printemps 2025 un babyfoot qui a rejoint depuis les célèbres tables de ping-pong de la cave du château !
En attendant, Hartmut Rosa participa à un autre colloque de Cerisy, mais en visioconférence : « L’Europe : héritages, défis et perspectives », organisé en août 2023 sous la direction de Wolgang Asholt et Corine Pelluchon (celle-là même qui dirige le colloque à venir, aux côtés de Dietmar Wetzel). Sa communication porta sur « L’Europe [comme] espace de la résonance ».
Nous aurons donc le loisir de revoir en présentiel un de nos penseurs contemporains préférés (nous assumons de le dire ainsi !), en animant même à cette occasion une table ronde avec des professionnels (responsables d’entreprises ou d’institutions) s’employant à rendre opérationnels ses concepts dans leurs domaines respectifs. Du moins était-ce l’intention initiale. Nous avions fait en effet l’hypothèse qu’ils devaient être nombreux à tirer les conséquences de l’accélération telle que décrite par Hartmut Rosa, dans les sociétés de « la modernité tardive » (selon sa formule), ou chercher à créer les conditions de relations de résonance en interne ou avec leur environnement. Sauf que, renseignements pris, si ses concepts ont eu un écho dans divers milieux professionnels, c’est rarement suite à une lecture attentive de ses ouvrages. On touche là probablement une des limites des concepts travaillés par Hartmut Rosa : ils paraissent tant référer à des phénomènes que chacun peut éprouver par lui-même (l’accélération, la résonance, donc) qu’on croit pouvoir les reprendre à son compte, mais sans juger utile de s’assurer du sens que lui leur donne.
Entre autres exemples, on pense à cet architecte qui, lors d’une intervention dans une école d’ingénieurs, mis en avant la notion de résonance dans un des premiers visuels de son inévitable powerpoint, en référence explicite à notre philosophe et sociologue allemand, mais, en reconnaissant, quand nous nous sommes enquis de savoir ce qu’il avait pensé de l’ouvrage correspondant (Résonance, la sociologie d’une relation au monde), ne l’avoir pas lu, pas plus que les autres d’ailleurs… Ou encore, ces speakers d’une édition de TEDxSaclay consacré justement à la résonance (thématique que nous avions soufflée aux oreilles des organisateurs), qui témoignèrent tous de leur vision de cette résonance à l’aune de leur disciplines ou de leur activité professionnelle ou artistique mais sans faire référence au moindre passage de l’ouvrage…
Aussi, nous ne saurions trop vous recommander de vous plonger dans la lecture de l’une et/ou l’autre de ses publications (parmi celles traduites en français, soit presque toutes – bravo et merci au passage aux éditeurs qui se sont voués à cette tâche) :
– Accélération : une critique sociale du temps (La Découverte, 2010) et Aliénation et accélération : vers une théorie critique de la modernité tardive (La Découverte, 2012) : ce sont les deux premiers ouvrages de Hartmut Rosa traduits en français et l’ayant fait connaître : il ne se contente pas de pointer l’accélération qui affecte nos existences (un constat empirique que chacun peut faire), mais en décrit les ressorts. En bon héritier de l’école de Francfort, il montre comment elle participe à de nouvelles formes d’« aliénation ».
– Résonance : une sociologie de la relation au monde (La Découverte, 2018, disponible en format de poche, 2021) : une réponse à ceux qui ont trop vite conclu de ces premiers livres que l’antidote à cette accélération ne pouvait être que la décélération ou toutes ses tendances en mode « slow ». En réalité, c’est davantage dans une relation de résonance que cet antidote est à chercher quand bien même elle ne se décrèterait pas, exigerait une certaine disposition d’esprit. Ce n’est pas tout : non seulement Hartmut Rosa parvient à faire de cette résonance un objet d’étude sociologique, mais encore il en décrit les ressorts (comme il l’avait fait pour l’accélération), en puisant dans de nombreux domaines : la philosophie, la science, comme… la chanson, la poésie, la danse…
– Remède à l’accélération : impressions d’un voyage en Chine et autres textes sur la résonance (Philosophie magazine, 2018) : un petit livre pour lecteur pressé, qui donne un aperçu de la notoriété internationale acquise par ce penseur, jusque dans l’Empire du Milieu.
– Rendre le monde indisponible (La Découverte, 2020) : un titre énigmatique mais qui prend tout son sens à la lecture des quelques 150 pages – c’est précisément parce qu’on croit le monde – ses ressources, sa biodiversité – à notre disposition, qu’il n’est plus propice à l’expérience de relation de résonance.
– Pédagogie de la résonance (Le Pommier, 2022) : notre philosophe et sociologue répond aux questions d’un pédagogue de profession, Wolfgang Endres, sur la manière de faire en sorte que dans une école, ça « crépite » dans les classes. Un livre qui ne peut qu’intéresser enseignants, mais aussi parents, et pour tout dire quiconque engagé dans une démarche de transmission de savoirs, de connaissances.
– Pourquoi la démocratie a besoin de la religion. À propos d’une relation de résonance singulière (La Découverte, 2023) : on le recommande fermement pour que le lecteur se fasse son propre avis sur ce livre dans lequel d’aucuns, y compris parmi les « fans » de Hartmut Rosa, ont cru voir une révélation de la réelle identité de notre soit-disant philosophe sociologue, celle d’un bigot… Le fait qu’il ne se cache pas son plaisir de jouer de l’orgue dans l’église de sa paroisse n’arrangea rien. C’était en réalité ne rien comprendre à l’intérêt que la religion considérée en son sens étymologique – du latin religare, qui signifie lier fortement – peut avoir d’intéressant aux yeux d’un sociologue qui, par définition, n’est pas indifférent à ce qui concourt au lien social.
Si Hartmut Rosa admet verser dans une sorte d’idolâtrie (c’est notre mot), c’est pour le… Heavy Metal. Nous recommandons donc aussi la lecture de :
– No fear of the dark – Une sociologie du Heavy Metal (La Découverte, 2024) : un livre dans lequel Hartmut Rosa ne se borne pas à exprimer sa passion pour cette musique (dont il parle déjà dans Résonance) ; il l’aborde aussi en bon sociologue qu’il est tout en enrichissant son analyse de son expérience personnelle. On ne lui reprochera quand même pas de parler de ce qu’il connaît de l’intérieur comme de l’extérieur !
Enfin, signalons :
– La modernité tardive en crise. Qu’apporte la théorie de la société ? (Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2024) : sans doute le livre dont la lecture est la plus exigeante, mais qui n’en mérite pas moins notre intérêt : dans un dialogue avec un collègue, Andreas Reckwitz, il tente de comprendre le moindre intérêt des sociologues pour l’élaboration de théories explicatives globales de la société au moment où le contexte de la mondialisation devrait les y encourager et malgré l’intérêt d’un public pour ce genre d’approche – intérêt dont témoigne notamment le succès d’ouvrages d’histoire globale.
Il ne reste plus qu’à vous souhaiter bonne lecture !
Sylvain Allemand