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Sur la voie de la résonance intérieure

Entretien avec Dietmar Wetzel

Du 30 août au 5 septembre, le Centre culturel international de Cerisy accueillait le Colloque « Hartmut Rosa : accélération, résonance, énergies sociales », dirigé par la philosophe Corine Pelluchon et le sociologue Dietmar Wetzel [à gauche sur la photo]. En voici un premier écho à travers le témoignage de ce dernier, qui revient ici sur la communication qu’il a fait sur la résonance du « point de vue » de… la voix.

– Comment en êtes-vous venu à ce travail sur la voix ?

Dietmar Wetzel : La voix et la réflexion sur ce sujet sont un excellent moyen d’étudier de plus près le phénomène de la résonance, tout comme, d’ailleurs, des énergies sociales, tant d’un point de vue théorique que pratique. Comme je chante moi-même, je peux immédiatement mettre mes réflexions en acte. Je ne suis bien évidemment pas le seul ni le premier à m’intéresser à la voix. Ces dernières années, l’attention portée sur elle – sur elles devrais-je dire – a pris de plus en plus d’importance et je suis convaincu qu’il est très utile de comprendre le lien entre elle(s) et la résonance. À cet égard, je tire profit de mon expérience pratique – comme Hartmut Rosa le fait pour les besoins de son étude du Heavy Metal  dont il est un fan, tout comme moi –, notamment à travers l’apprentissage du chant, pour mes réflexions sociologiques et philosophiques. La voix m’ouvre non seulement la voie vers l’autre dans une constellation intersubjective et résonante, mais encore elle ouvre la voie vers l’intérieur, soit le 4e axe de résonance proposé par Hartmut Rosa : un axe intrasubjectif et corporel. Dès lors que nous sommes en quête d’expériences de résonance, pour éviter autant que possible l’aliénation, il est nécessaire que nous trouvions notre propre voix et la conservions autant que possible, surtout face aux dangers de l’IA qui offre la possibilité de manipuler les voix en les réduisant parfois au silence.

– Envisagez-vous de rendre compte de ces recherches dans un livre, dans l’esprit de celui que Hartmut Rosa a consacré au Heavy Metal, en croisant son double regard de sociologue et de philosophe avec son expérience personnel de ce genre musical, auquel il s’est même adonné ?

Dietmar Wetzel : Oui et j’y ai été encouragé par la communication que j’ai faite ce matin à Cerisy et les réactions qu’elle a suscitées. Il y a bien sûr plusieurs approches possibles de la voix. Il me faut donc bien réfléchir à l’apport spécifique d’une approche sociologique et philosophique, qui mêlerait aussi un apport plus personnel, et tout cela en lien avec ces notions travaillées par Hartmut Rosa : la résonance, les énergies sociales et, pourquoi pas, avec lui ainsi que d’autres collègues. Au préalable, sans doute conviendrait-il de commencer par un nouveau colloque ! [ Rire ].

– Un colloque à l’image de celui que vous avez dirigé avec Corine Pelluchon. Même s’il n’est pas encore achevé au moment où nous réalisons cet entretien, avez-vous envie de mettre en exergue de premiers renseignements que vous en tirez ?

Dietmar Wetzel : Si j’ai un premier enseignement à mettre en exergue, c’est que la pensée de Hartmut Rosa est une pensée mouvement. Nous ne sommes qu’au début de la réflexion qu’il a engagée sur les énergies sociales. Cette pensée est d’autant plus stimulante qu’elle est ouverte tout à la fois à d’autres approches et à des commentaires critiques : plusieurs communications ont d’ailleurs, dans un esprit constructif, pointer des limites ou formulé des réserves auxquelles Hartmut Rosa a pris soin de répondre, sans chercher à clore le débat.

– Comme vivez-vous ce colloque au regard de son cadre et de l’ambiance qui y a régné ?

Dietmar Wetzel : Je vis ce colloque de Cerisy comme un moment propice à de vraies rencontres. Des espaces de résonance ne cessent de s’ouvrir. Naturellement, cela tient aux thèmes abordés : la résonance, donc, mais aussi la responsivité, les énergies sociales et émotionnelles, sans oublier l’accélération et l’aliénation. J’apprécie beaucoup l’ambiance qui règne depuis notre arrivée ici, non seulement pendant les séances – les communications donnent lieu à des échanges stimulants, des commentaires qui, comme je l’ai dit, peuvent être critiques, mais toujours bienveillants et constructifs -, et encore avant et après, lors des conversations pendant les moments de pauses, les repas pris en commun, depuis le matin jusqu’au soir. C’est proprement génial !  Les échanges ne s’interrompent que pendant la nuit et les parties de ping-pong ou de babyfoot, auxquelles les participants s’adonnent le soir, dans la cave, Hartmut n’étant pas le dernier à la faire ! [Rire].

Indéniablement, sa personnalité, celle de quelqu’un d’ouvert et d’abordable, contribue à faciliter la communication entre les participants avec lui et entre eux, intervenants et auditeurs. Sa propre voix, que je connais bien, son art de l’improvisation, son rire, ajoutés à ses marques d’attention, la joie qu’il dégage, font de ce colloque une expérience intellectuelle fascinante, qui s’éprouve aussi physiquement. En tant que sociologue, j’observe aussi que de nombreuses énergies sociales et émotionnelles – pour reprendre ses propres concepts – circulent, contribuant au succès du colloque.

– Je ne résiste pas à l’envie de clore cet entretien en partageant ma réaction à votre communication sur la voix, qui m’a laissé littéralement… sans voix ! Non pas parce qu’elle m’aurait paralysé, mais au contraire, parce qu’elle m’a procuré une émotion, de celle qui donne envie de se remettre en mouvement – rappelons au passage qu’émotion et mouvement ont la même racine étymologique latine. À se demander si dans le monde actuel, dont l’actualité nous sidère, il ne faudrait pas être plus à l’écoute de ces voix à même de nous porter…

Dietmar Wetzel : Je suis heureux de ce que cela ait produit cet effet. Pour ma part, cette communication que j’ai décidé de faire en dernière minute – initialement, je devais intervenir sur les énergies sociales – a été l’occasion de recomposer ma biographie en y intégrant la place importante qu’y occupent la musique, mais aussi la pratique du chant à laquelle je me livre à travers des cours que je prends mais aussi des concerts que je donne. C’est une riche expérience à même de donner plus confiance en soi. Comme la résonance, la voix est quelque chose qui touche à l’intérieur de soi. Quand en plus on peut en faire un objet de recherche, en tant que sociologue et philosophique, cela ne fait qu’ajouter au plaisir.

Propos recueillis par Sylvain Allemand

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