Rencontre avec Léa Develioglu et Mathieu Majérus
Suite de nos échos à l’intervention d’Alain Musset, le 27 mars dernier, dans le cadre de Remue-Méninges, un RDV du Pavillon des Sciences, avec le témoignage de ses deux animateurs : Mathieu Majérus et Léa Develioglu, qui reviennent ici sur la genèse de cette rencontre ainsi que sur leur vision de la médiation scientifique.
– Pouvez-vous, pour commencer, rappeler ce que recouvre Le Pavillon des Sciences ?
Mathieu : Le Pavillon des Sciences est le Centre de Culture Scientifique, Technique et Industrielle de Bourgogne Franche-Comté : sa vocation est de faire de la vulgarisation scientifique à travers des expositions ; des interventions dans les écoles sur des thématiques aussi diverses que l’électricité, la préhistoire, la manière dont on fait voler un avion, etc. ; des conférences et des rencontres comme celle qui va avoir lieu ce soir dans le cadre de notre rendez-vous Remue-Méninges avec le géographe Alain Musset sur la ville du futur abordée à partir du jeu vidéo Cyberpunk 2077. Précisons encore que Le Pavillon des Sciences couvre l’ensemble de la région de Bourgogne-Franche-Comté. Léa et moi animons l’antenne de Dijon, le siège étant à Montbéliard.
– [À Léa]. Vous avez rejoint Le Pavillon des Sciences plus récemment. Quelles sont vos missions ?
Léa : Tandis que Mathieu intervient dans les écoles, j’assure entre autres missions l’itinérance de nos expositions ainsi que d’un planétarium gonflable dans les établissements scolaires,. Ce qui nous tient à cœur, c’est d’investir le territoire de la Bourgogne Franche-Comté sans exclusive. Une autre de mes missions est de coordonner la Fête de la science qui se tient chaque année, en octobre, avec l’ambition d’infuser la culture scientifique en touchant le plus large public possible.
– Vous avez l’un et l’autre parlé de vulgarisation ou de médiation scientifique. Quelle différence entre les deux ? Je pose la question sans cacher mon scepticisme à l’égard de l’une comme de l’autre, considérant préférable de faire se rencontrer les diverses formes d’expertise dont on peut être porteur sur un sujet donné, de la plus savante à la plus profane, sans oublier les formes d’expertises professionnelles, artistiques…
Mathieu : Gardons à l’esprit qu’il n’y a pas une mais des formes de médiation scientifique. À chaque médiateur, son approche du métier entre celui qui privilégiera les chercheurs en les aidant à parler de leur sujet de recherche au grand public, et celui qui, comme Léa et moi, intervient auprès du public dans une démarche que certains pourraient appeler d’alphabétisation – un autre terme que nous assumons, car si on veut comprendre des résultats de recherche, il faut bien commencer par en saisir le b.a .-ba, les notions élémentaires. Il n’est pas sûr que lorsqu’un chercheur parle de fermentation, pour ne prendre que cet exemple, tout le monde ait une idée claire de ce en quoi cela consiste. Autant donc commencer par s’accorder sur le sens des mots.
Léa : Il ne s’agit pas pour autant de faire un cours. La médiation scientifique, et c’est à mon sens tout son intérêt, se veut aussi ludique que possible. Elle n’a pas d’autre prétention que d’éveiller la curiosité en faisant passer un bon moment au public. En cela, elle participe aussi d’une forme de divertissement. Il faut garder à l’esprit que la simple évocation du mot science peut provoquer chez certains une réaction de rejet sur le mode : « ce n’est pas pour moi, je n’y comprendrai rien ». La première chose à faire, donc, est de rassurer, de permettre au plus réfractaire de se faire une autre idée de la science, peu importe qu’il acquière ou pas des connaissances au bout du compte. Ce qui importe, c’est qu’il ait passé un bon moment et qu’il reparte avec une image plus positive de la science. Si cela lui donne envie d’en savoir plus, d’investir le sujet abordé, tant mieux !
– Qu’est-ce qui vous a motivé l’un l’autre à investir la médiation scientifique ? Avez-vous suivi une formation spécifique ?
Mathieu : Pour ma part, je m’étais destiné à devenir écologue dans l’idée d’étudier en particulier les chauves-souris. À Bordeaux, où j’ai commencé mes études, j’ai découvert, grâce à des amis qui y travaillaient, Cap Sciences, le centre de culture scientifique et technique de la Région Nouvelle Aquitaine.
– … Une référence dans le domaine !
Mathieu : Oui, en effet, à tel point d’ailleurs que je n’ai eu plus qu’une envie, y travailler. D’autant que j’avais déjà une appétence pour la vulgarisation scientifique – enfant, j’étais un fan, de « C’est pas sorcier » et de manière plus générale les documentaires traitant de sujets scientifiques. Après mon master, et en attendant de trouver un emploi, j’ai donc postulé pour un contrat de vacataire à Cap Sciences. Cela m’a bien plu au point de me décider à faire le master Information et Médiation scientifique et technique à l’Université de Bordeaux. Une formation qui prépare à la fois à la conception de projet (exposition, événementiel), au journalisme scientifique, à la communication scientifique ou encore aux relations presse.
– Et vous Léa ?
Léa : Pour ma part, je me destinais à la biologie – un autre point commun avec Mathieu. Mais après une licence, j’ai réalisé que je ne souhaitais pas vraiment devenir pointue dans un domaine en particulier, que j’aspirais plutôt à être « bonne en tout, excellente en rien » – pour reprendre la formule d’un étudiant de ma promo de master. Et puis, j’avais aussi envie de me tourner vers plus de sciences humaines et sociales, pour mieux comprendre le monde, les enjeux sociaux de la science. C’est ainsi que je me suis dirigée vers un master Épistémologie, histoire des sciences et des techniques, à l’Université de Strasbourg. Un master que j’ai bien aimé suivre, mais qui était peut-être trop tourné vers la théorie. Or, moi, j’avais aussi envie de savoirs plus opérationnels, de monter des projets. C’est ainsi que j’en suis venu à faire un autre master, à Grenoble cette fois, pour me destiner à un métier de chargée de projet, comme celui que j’exerce aujourd’hui à travers cette activité de médiation scientifique : je fais l’intermédiaire entre le monde scientifique, qui peut paraître parfois un peu refermé sur lui-même, et la société, qui a peu de contacts directs avec ce monde scientifique.
– Le contexte actuelle n’est guère favorable à la science, qu’on en juge par la contestation de vérités scientifiques ou plus récemment par les décisions de l’administration Trump… Comment le vivez-vous ? Vous conforte-t-il dans votre engagement en faveur de la médiatique scientifique ?
Léa : Votre interrogation vient à point nommé puisque le prochain Remue-Méninges va justement porter sur l’esprit critique – il est programmé dans le cadre du Printemps de l’esprit critique. Nous l’aborderons à travers un jeu de société. S’intéresser à la science ou ne serait-ce qu’à un domaine scientifique, c’est très bien, mais savoir discerner la bonne information de la mauvaise, la fake news ou à tout le moins une information moins fiable, parce que de source incertaine, non vérifiée, c’est aujourd’hui plus que jamais une compétence essentielle à acquérir sinon cultiver.
Mathieu : Dans le contexte que vous évoquez, on perçoit bien une tendance à remettre en question jusqu’aux vérités scientifiques les plus établies. Il importe donc de sensibiliser à l’épistémologie, la manière dont fonctionne la science, sont produites les connaissances scientifiques. Mais force est de reconnaître que ce n’est pas simple : si on arrive à communiquer sur des savoirs, en revanche, c’est plus difficile de le faire sur la manière dont ils ont été produits. À cet égard, la crise sanitaire liée au Covid a marqué comme une rupture : il s’est trouvé des scientifiques sinon des médecins pour contester les recommandations de leurs pairs. Tant et si bien qu’il pouvait être difficile de savoir à quelle information se fier. Sans en faire la finalité de la médiatique scientifique, je suis convaincu de la nécessité de faire davantage de pédagogie sur la manière dont les vérités scientifiques sont produites, en commençant par remettre les choses en perspective historique. Ce qui me fait dire que le premier master de Léa n’était pas si éloigné de nos enjeux. Reste à savoir si, nous autres médiateurs, y ont encore assez réfléchi. Rien n’est moins sûr.
Léa : Pour autant, et c’est une ligne de conduite à laquelle nous nous tenons, il ne s’agit pas de stigmatiser, de culpabiliser le public pour son apparente ignorance. Les personnes qui remettent en cause des vérités scientifiques, qui ont pu en particulier contester le bienfondé de la vaccination contre le Covid-19, ou qui interrogent le fait que la terre soit ronde [cf l’étude menée par l’IFOP en 2018 suivant laquelle 9 % des français croient « possible que la Terre soit plate et non pas ronde comme on nous le dit depuis l’école »] ne sont pas toujours de mauvaise foi. Elles se posent vraiment des questions, considèrent juste que l’explication qu’on leur a donnée n’est pas suffisante. Ce faisant, elles manifestent une capacité à douter. Or, ne dit-on pas que le doute est une vertu cardinale de la démarche scientifique ? Aussi, plutôt que de les stigmatiser ou de s’en moquer, ne devrait-on pas prendre au sérieux ce que ces personnes disent, à savoir un refus de prendre toute vérité pour acquise ? Une chose est sûre : en tant que médiateurs scientifiques, il nous faut nous garder de faire preuve de condescendance, de prendre de haut les personnes que nous prétendons acculturer à la science. Ce serait la pire façon de faire.
– Nous réalisons l’entretien à quelques heures du prochain Remue-Méninges, le rendez-vous du Pavillon des Sciences, auquel vous avez convié le géographe Alain Musset. Pouvez-vous rappeler le principe de ce rendez-vous et comment l’idée vous est venue d’y convier cet auteur ?
Mathieu : Un mot d’abord sur le nom même de notre rendez-vous : c’est juste pour ne pas dire « conférence », un mot qui peut en dissuader plus d’un. Cela n’en reste pas moins une rencontre avec un scientifique sinon un expert. Nous avons observé qu’ailleurs, en Bourgogne France Comté, mais aussi dans d’autres régions, émergeaient des formes nouvelles de médiation, soucieuses de toucher un public qu’on ne voit pas d’habitude dans nos centres de culture scientifique et technique, ou d’autres lieux dédiés à la science ; en particulier les 18-25 ans. S’il arrive de les voir dans les musées, en revanche, pour des raisons que nous ne nous expliquons pas, on les voit moins à des conférences scientifiques. De là, donc, Remue-Méninges qui se propose d’allier science et pop culture. Parmi les formats de cette dernière que nous aimons particulièrement, Léa et moi, il y a les jeux vidéo, que nous pratiquons d’ailleurs nous-mêmes.
– Un mot sur le jeu vidéo que vous avez sélectionné en invitant Alain Musset à le commenter au cours d’une exploration en direct…
Mathieu : Il s’agit de Cyberpunk 2077 qui nous plonge notamment dans Night City, aussi surnommée « La Cité des Rêves » : une ville fictive et dystopique, qu’on peut explorer dans toute son étendue et dans le moindre de ses détails, avec sa foultitude de quartiers, de recoins. La perspective d’aborder la thématique de la ville par son truchement nous plaisait bien. Restait à identifier un intervenant possible. Nous avons surfer sur le net. C’est ainsi que nous sommes tombés sur un spécialiste des villes, en plus d’être fan de science-fiction et de jeux vidéo : Alain Musset, donc. Nous ne pouvions pas trouver meilleur profil.
Léa : L’ensemble de la saison de Remue-Méninges est axé sur les enjeux sociaux et les sciences sociales. Quelque chose qui nous tenait à cœur : sans renoncer bien sûr aux sciences exactes ou du vivant, nous tenions à rétablir un peu plus de parité, disons, avec ces sciences, notre souci étant de veiller à ce que dans l’esprit du public, le mot science ne renvoie pas exclusivement aux maths, à la physique et d’autres sciences de ce genre.
– Vos propos me ravissent d’autant plus que me trottait dans la tête la question de savoir quels étaient justement vos rapports aux SHS… Pour en revenir au Remue-Méninges de ce soir, y a-t-il eu une volonté, en traitant de la question de ville, de toucher un public d’urbanistes et d’architectes, et au-delà des acteurs de la « fabrique urbaine » ?
Léa : J’avoue ne pas y avoir réfléchi…
Mathieu : Cela ne m’est pas venu à l’esprit non plus… Mais maintenant que vous le dites… Ce serait une belle surprise si ce type de professionnels assistait à cette rencontre…
– Pour clore cet entretien, un mot encore sur le lieu où cette soirée se déroule, mais aussi la librairie qui assurera la présence des livres de l’auteur ou relatifs à la thématique… Une double illustration me semble-t-il du fait que vous êtes bien des médiateurs, en ce sens aussi où vous travaillez avec des acteurs du territoire…
Mathieu : Pour nos événements, nous aimons aller d’un lieu à l’autre. Ce soir, ce sera donc dans un bar brasserie, Un singe en hiver, « fabrique de curiosité » comme ses fondateurs aiment à le définir : il accueille régulièrement Remue-Méninges, mais aussi des expositions art-science, le bar des sciences de la Société Astronomique de Bourgogne, etc.
Léa : Un bar à vocation cultuelle qui n’a pas peur d’aborder des sujets de culture scientifique. Ce qui n’est pas forcément le cas de tous les lieux de culture. Nous mesurons donc notre chance de compter Un singe en hiver parmi nos partenaires.
– Et comme nous l’imaginons, d’y promouvoir les livres grâce à cet autre partenariat noué avec la librairie Grangier, qui en propose une sélection – ceux de l’intervenant, pour une séance dédicace, mais aussi d’autres auteurs, scientifiques ou écrivains, ayant abordé le sujet…
Mathieu : La librairie Grangier qui n’est autre que la plus grande librairie indépendante de Bourgogne.
Léa : Il nous semblait important de faire en sorte que les personnes qui le souhaitent puissent, à l’issue d’une conférence, assouvir leur curiosité, aller un peu plus loin, en se procurant aussi facilement que possible un ou des livres, sans avoir à penser à le commander ou à se rendre plus tard jusqu’à la librairie et en pousser la porte alors qu’elles n’en ont pas forcément l’habitude. Sans compter la possibilité de repartir avec une dédicace !
Propos recueillis par Sylvain Allemand
Crédit photo : Edouard Bara.