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Sylvie Mombo au Royaume des Storytellers

Saison I, épisode 1 / 3

Cet été, Sylvie Mombo, auteure de Matières à conter, a entrepris un long voyage outre-Manche. Objectif : parfaire sa pratique de la langue anglaise, mais aussi sa connaissance du Royaume-Uni, de sa culture avec, à terme, l’objectif de conter devant un public anglophone. En voici un premier écho (deux autres suivront) avec cet entretien réalisé le 10 juillet à Ainsdale, à 25 km au nord de Liverpool, à la veille de son départ pour une retraite « contée » dans le Pays de Galles.

– Nous réalisons cet entretien à Ainsdale, où vous êtes arrivée au début du mois de juillet. Ce n’est pas la première fois que vous vous rendez au Royaume-Uni. Qu’est-ce qui explique cet intérêt pour ce pays, sa fréquentation régulière ?

Sylvie Mombo : Cet énième voyage que j’entreprends au Royaume-Uni vient nourrir l’amour que j’éprouve pour la langue anglaise. Une langue dont j’aime le rythme, les images qu’elle génère, l’idée aussi que, peut-être, elle me ramène à une partie de mon enfance. Comme beaucoup, je l’ai découverte à l’âge de 11-12 ans, en entrant en collège, en 6e. De ce moment de notre scolarité, beaucoup disent ne pas garder forcément un bon souvenir. De fait, on perd ses repères ; l‘école, plus grande, semble prendre comme un tour plus carcéral – on n’y fait pas ce qu’on veut, on doit montrer son carnet de correspondance à tout bout de champ, justifier ses allées et venues… J’ai moi-même éprouvé ce sentiment. Mais, au milieu de tout cela, il y avait le cours d’anglais, le cours de Monsieur Brusson que j’attendais avec beaucoup d’impatience. Soit quatre ou cinq heures par semaine que je vivais comme des îlots de bonheur absolu.

– Vous parlez de cette langue anglaise au singulier alors que ce à quoi vous êtes sensible, me semble-t-il, c’est la diversité qu’elle recouvre ne serait-ce qu’au regard des accents, mais aussi de mots propres à certaines régions…

Sylvie Mombo : Tout à fait ! Au-début, l’anglais m’apparaissait comme une seule et même langue. Je n’avais pas l’oreille suffisamment aiguisée pour discerner les accents. Désormais, je la maîtrise suffisamment pour y être sensible et goûter ainsi au bonheur d’entendre des langues anglaises,  comme il y a des langues françaises, en France même. Quand je vais d’un coin à l’autre du Royaume-Uni, ou selon mon interlocuteur et sa région d’origine, j’ai la sensation  de passer d’une musicalité à une autre. Cela ajoute à la difficulté, mais c’est aussi un plaisir pour la personne en apprentissage que je suis encore. J’y vois la preuve que je suis en train de franchir un cap.

– Pour autant, votre appétence pour cette langue « plurielle » ne se limite pas à l’oral.  Vous l’explorer aussi à travers la littérature : des romans, des nouvelles…

Sylvie Mombo : En effet, je me suis plongée déjà depuis plusieurs années dans la littérature anglaise en partant du principe que lire, que ce soit d’ailleurs en anglais ou en français, est une manière d’enrichir mon vocabulaire, d’en découvrir les idiomes, les faux amis. Donc, oui, je lis tout les livres en anglais, qui me passent dans les mains. Et comme je suis une amoureuse de la littérature, je lis beaucoup de fictions, des romans et des  nouvelles. Parmi mes dernières lectures : Americanah, de Chimamanda Adichie,  The Silver sparrow, de Tayari Jones, The Island of missing trees, d’Elif Shafak, Hamnet, de Maggier O’Farrel, Normal people et Beautiful world, where are you, de Sally Rooney…

Je me risque aussi à lire de la poésie. J’y prends beaucoup de plaisir même si c’est plus difficile et pour cause – la poésie joue avec la pluralité des sens que revêtent les mots ; je ne saisis pas toujours les références à l’histoire ou à des auteurs. Je n’en apprécie pas moins, là encore, les chants variés de la langue. Je lis également la presse, car c’est encore une autre langue – accessoirement, elle me permet de me tenir informée d’une actualité plus centrée sur le Royaume-Unis, les États-Unis et surtout l’Afrique anglophone dont les problématiques m’intéressent. De quoi sortir d’une vision franco-française… Et puis, bien entendu, je lis aussi des contes, beaucoup de contes avec la volonté là encore de me passer de traduction. Jusqu’à présent, je racontais des contes en français que je m’évertuais à traduire ensuite en anglais. Désormais, je voudrais découvrir des contes anglais directement, comme j’en ai découverts en langue française. Pour commencer, je fréquente les médiathèques des villes où je séjourne (je recommande celle d’Hastings et encore plus celle de Liverpool), pour y consulter notamment des anthologies de contes.

– Ce faisant, avez-vous l’impression d’entrer dans un autre univers du conte ? Y aurait-il un conte made in United Kingdom, une manière spécifique de raconter, des variations à tout le moins ?

Sylvie Mombo : Oui, probablement. La variation majeure que je perçois concerne le temps de la narration.  Là où un conteur français sera enclin à raconter au présent, un Britannique le fera au passé. C’est du moins ce que le conteur anglais Alex Pattie m’a fait observer, et que j’ai pu vérifier à plusieurs reprises.

– Un conteur rencontré au cours de votre séjour ?

Sylvie Mombo : Non, je l’ai découvert à l’occasion du Micro-Labo Langue qui s’est tenu en juin dernier à la Maison du conte. Durant trois jours, j’ai rejoint une équipe de conteuses et conteurs avec lesquels nous nous sommes interrogés sur les langues : Comment raconter dans une autre langue que la sienne ? Ou en revenant à sa langue maternelle ? Qu’est-ce que le changement de langue fait au récit ?… Pour ma part, j’aime utiliser le passé simple, pour rendre compte d’actions soudaines ou répétitives, mais aussi parce que je trouve que ce temps sert le conte. Toutefois, il m’arrive de revenir au présent, pour dynamiser le récit. En anglais, je constate que cela se fait beaucoup moins, souvent voire pas du tout. Voilà une première variation. Probablement en y a-t-il d’autres, mais je ne suis pas encore familière avec le « storytelling » pour vous donner d’autres exemples.

– Revenons-en à votre séjour actuel, le plus long que vous ayez entrepris – plus d’un mois. Avec quels objectifs l’avez-vous programmé ?

Sylvie Mombo : Avant de répondre à cette question, je tiens à préciser que c’est le deuxième long séjour que j’entreprends depuis le début de cette année 2024. Au cours du mois de mars, j’ai passé plus de trois semaines, vingt-deux jours précisément, en Angleterre, à Hastings. Initialement, j’avais même prévu de banaliser tout ce mois ; je n’y suis pas parvenu en raison de mon agenda qui s’est rapidement rempli de dates à honorer. Mon intention était déjà de disposer d’assez de temps pour laisser la langue infuser en moi, comme un sachet de thé, et vice versa, m’y laisser infuser. Avec ce nouveau séjour, je voulais réitérer mon expérience d’immersion, en y restant cette fois cinq semaines, pour baigner pleinement dans la langue, entendre des récits, quels qu’ils soient,  y compris des récits du quotidien, des récits de gens rencontrés au fil des jours. J’ai même l’intention d’assister à un office religieux, dans une église, toujours dans cette idée d’entendre la langue anglaise dans différents contextes, d’entendre aussi différents niveaux de langage. Le but ultime est de relever le défi de raconter en anglais, ce que j’ai déjà fait – à Central Park, à New York, ou à The American Librairy in Paris -, mais de manière encore trop occasionnelle pour prétendre le faire aussi naturellement qu’en français.  J’ai conscience de ma difficulté à  saisir les nuances de la langue. Il me faudrait résider durablement au Royaume-Uni. C’est seulement ainsi que j’acquerrai les automatismes.

– À défaut d’y résider en permanence, vous avez pris le parti de résider chez l’habitant. Vous êtes actuellement chez un couple de retraités, Bill et Karen, qui ne parlent pas français…

Sylvain Mombo : Exactement ! Chaque fois que je voyage, que ce soit en Angleterre ou ailleurs, j’essaie d’être au plus près des gens, des « locaux ». Le fait d’habiter dans une famille anglaise, comme ici – Bill et Karen ont une fille -, me permet de pratiquer, d’enrichir mon vocabulaire, mais aussi ma connaissance du pays, de sa culture, d’accéder de plain-pied à sa « civilisation » serais-je tentée de dire.

– Comment vos hôtes ont-ils réagi en découvrant que vous étiez « storyteller » ?

Sylvain Mombo : Ils ont été d’autant plus surpris que jusqu’ici ils n’avaient pas entendu parler de ce métier ! Et ils sont loin d’être les seuls : au cours de ce voyage, parmi toutes les personnes avec qui j’ai été amenée à discuter et à dire ce que je faisais dans la vie, la plupart se sont montrée surprises. Je l’ai été tout autant qu’eux car l’Angleterre compte de très nombreux conteurs, qui tout, comme en France, se produisent dans des écoles, des musées, des médiathèques, sur les scènes de théâtre. Le pays compte aussi de nombreux festivals. C’est peut-être juste une histoire d’univers qui coexistent [mais] sans se croiser. Pour en revenir à mes hôtes, j’ai bon espoir qu’ils s’ouvrent désormais à celui des conteurs, à en juger par la curiosité dont ils ont fait preuve.

– Vous vous apprêtez à faire une retraite contée. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Sylvie Mombo : Oui, une retraite proposée par Jan Blake, une conteuse anglaise d’origine caribéenne, que j’aime beaucoup sans avoir encore eu l’occasion de la rencontrer – je l’ai découverte sur le net. Sa notoriété dépasse les frontières du Royaume-Uni – elle se produit dans des festivals internationaux. Je la trouve remarquable à tout point de vue : elle est d’une grande sincérité dans sa manière de raconter au sens où s’attache à mettre d’abord le récit en avant ; on la sent amoureuse de ses personnages, des mots. J’aime aussi le rapport qu’elle instaure avec le public : à la différence d’autres conteurs, elle compose avec lui, ses réactions. À mes yeux, elle incarne la conteuse par excellence. La retraite qu’elle propose dure cinq jours. Elle se déroule dans un centre de retraite, Cae Mabon, situé dans le nord du Pays de Galles, en pleine nature, dans une forêt de chênes. Elle sera centrée sur l’histoire de « Ogboingba », un mythe de création issu du peuple Ijo (Delta du Niger). Je vous avoue que les mythes ne sont pas à proprement parler au cœur de mes projets actuels…

– Mais alors pourquoi vous être inscrite à ce stage ?

Sylvie Mombo : En vérité, peu importait le thème. Jan Blake aurait pu en choisir un tout autre, je me serais inscrite quand même, en rappliquant ventre à terre ! (Rire).

– M’autoriserez-vous à revenir vers vous à l’issue de ce stage pour recueillir votre retour d’expérience ?

Sylvie Mombo : Avec plaisir !

À suivre, donc.

Propos recueillis par Sylvain Allemand

Merci à Alphée Momo-Dupuis pour la photo qui illustre l’entretien.

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