Le 4 mars dernier, nous étions donc à la Galerie Wagner pour une présentation de Chères Babylones, en présence de l’auteur, le géographe Alain Musset. Présentation, c’est beaucoup dire, car une fois un livre édité, nous estimons que c’est désormais au lecteur de… travailler, si l’on peut dire, en se plongeant dans la lecture dudit ouvrage.
La conversation que nous eûmes avec notre nouvel auteur, en guise de conférence, fut néanmoins l’occasion de l’interroger sur la « géofiction », un néologisme qu’il a forgé en référence à la sociofiction évoquée par les sociologues, pour désigner une approche de la fiction par un regard de géographe, dans laquelle s’inscrit pleinement Chères Babylones. La conversation fut aussi l’occasion de questionner notre auteur sur son rapport au terrain, quelque chose qui d’ordinaire caractérise la démarche du géographe – question qui se justifiait par le fait que de terrain, il n’y en eut point pour les besoins de ce livre-ci puisqu’Alain Musset y entreprend une exploration de la littérature, du cinéma et des jeux vidéos de science fiction. Mais l’apparence est trompeuse : non seulement, en tant que spécialiste des villes d’Amérique latine, à commencer par Mexico, Alain a passé sa vie à arpenter des terrains (notamment de « villes nomades », appelées ainsi parce qu’elles sont contraintes de se déplacer pour échapper, du moins l’espère-t-on, à de nouvelles catastrophes naturelles), mais encore il fréquente les communautés de passionnés de la littérature, du cinéma et/ou des jeux vidéos de science fiction, même si, comme il le reconnaît, c’est plus au titre du passionné qu’il est aussi.
Enfin, notre conversation permit de rebondir sur la remarque faite par un géographe sur LinkedIn en voyant passer un post annonçant la publication du livre d’Alain Musset – il regrettait que la géographie ne cherche pas à faire davantage rêver, préfère ne parler que de sujets graves et angoissants. Ce à quoi Alain Musset a répondu en s’interrogeant à son tour sur le bienfondé de cette idée selon laquelle la géographie aurait pour mission de faire rêver ; et surtout en rappelant qu’aussi grave et angoissant que paraisse le sujet de son livre, celui-ci n’en était pas moins plaisant à lire. Et pour cause, le propre du géographe comme de tout autre chercheur est de nous faire prendre de la distance par rapport à une vision première – ici celle des formes d’expression de la science fiction – en pointant ce qui peut légitimement prêter à (sou)rire dans les visions de la ville post-apocalyptique que ces formes d’expression véhiculent.
La soirée fut aussi l’occasion de redécouvrir l’exposition en hommage à l’artiste néerlandaise Anneke Klein Kranenbarg (décédée en janvier 2024) – « redécouvrir » avons-nous écrit, car elle était déjà « à l’affiche » de la Galerie Wagner lors de notre précédente soirée – autour de 1,2,3… Dix voix qui content, un recueil d’entretiens avec des conteurs et conteuses réalisé par Sylvie Mombo. Nous n’en eûmes pas moins l’étrange sensation d’en découvrir une toute autre… Preuve s’il en était besoin que des œuvres ne se dévoilent pas intégralement au premier regard.
La soirée réserva bien d’autres surprises, comme celle de croiser des visiteurs aussi inattendus que… l’actrice et peintre Tran Nu Yên Khê et le réalisateur Trần Anh Hùng. auquel on doit notamment L’odeur de la Papaye verte dans lequel la première joue. Merci à Catherine Véglio (à droite sur la photo), auteure du roman Des vies sans refuge (Sérendip’éditions, 2024), d’avoir eu l’idée de les convier à cette soirée – elle venait de faire leur connaissance en décembre dernier à l’occasion de la remise du Grand Prix 2024… de l’Académie de la viande !
Véridique ! L’explication est la suivante : Catherine y était invitée au titre de nouveau membre de cette Académie, Trần Anh Hùng au titre de lauréat du prix, pour son film La Passion de Dodin Bouffant (avec Benoît Magimel et Juliette Binoche). Prix dont Catherine avait été elle-même lauréate en 2017, pour son premier roman, La Fête Carnivore (Lemieux éditeur).
La présence du célèbre couple vietnamien eut pour nous l’effet d’une madeleine de Proust : nous nous souvînmes aussitôt de notre première rencontre avec Tran Nu Yên Khê. C’était il y une vingtaine d’années à… Vesoul, à l’occasion du Festival international des cinémas d’Asie (un très bon festival à l’époque, qui a gagné depuis en notoriété médiatique bien méritée). Naturellement, il y fut question de L’odeur de la Papaye verte, un film que nous avions vu à sa sortie en 1993, et qui nous avait tant ému. Mais aussi de… chocolat, une passion que nous nous sommes découvert avoir en commun avec l’actrice. Par chance, nous venions d’en acheter chez le meilleur chocolatier de la ville et nous nous empressâmes de le faire déguster à cette dernière, qui l’apprécia manifestement (elle s’en souvint en tout cas).
Un souvenir que nous eûmes l’occasion de rappeler lors d’une deuxième rencontre fortuite (celle du 4 mars est donc la 3e), lors d’un vernissage de l’exposition d’une amie commune multi-talentueuse Boulomsouk Svadphaiphane, qui exposait alors des photos.
Il n’y a donc plus qu’à espérer que… jamais trois sans quatre !
En attendant, c’est Alain Musset que nous retrouvions le lendemain à la Bibliothèque nationale de France François Mitterrand pour son intervention dans le cadre de la conférence sur « La géographie de la fin du monde » programmée elle-même dans le cadre de l’exposition Apocalypse, qui se déroule jusqu’au 8 juin, et que nous vous conseillons vivement.
Sylvain Allemand