Nous y étions

Retrouvailles sérendipiennes au salon du livre Dimension

Rencontre avec Guillaume Sibout

Le monde est décidément petit : le samedi 3 mai dernier, notre maison d’edition invitée à Dimension, le salon du livre de Palaiseau dédié au dialogue entre science et fiction. Face à notre stand, celui d’un auteur, Guillaume Sibout, qui y présentait son livre : Jeux de rôle. L’image de soi sur les réseaux sociaux (éditions de L’Aube, 2024). Quelques jours auparavant, nous avions fait sa connaissance à l’occasion de l’Assemblée générale de l’Association des Amis de Pontigny-Cerisy qui programme les colloques du Centre culturel international de Cerisy. Il y présentait le colloque « Les propagations : un nouveau paradigme pour les sciences sociales ? », qui se déroulera du 25 au 30 juillet 2025, et qu’il coorganisera  notamment aux côtés du sociologue Dominique Boullier, dont l’ouvrage « Propagations. Un nouveau paradigme pour les sciences sociales » (Armand Colin, 2023) a directement inspiré le principe. Nous ignorions alors que les échanges amorcés avec Guillaume allaient, telles des ondes, se propager sinon se prolonger jusqu’à notre bonne ville de Palaiseau. Merci qui ? La sérendipité !

Vous êtes spécialiste en humanités numériques. Que recouvrent ces mots ?

Guillaume Sibout : Les humanités numériques constituent une  discipline universitaire consistant à appliquer les technologies du numérique aux sciences humaines et sociales, pour comprendre la manière dont ces technologies nous influencent dans nos comportements et nos usages. Elles croisent pour cela les regards de disciplines aussi variées que la philosophie, la sociologie, l’histoire, l’anthropologie, l’économie, le marketing…

– Comment en êtes-vous venu vous-même à investir ce champ ?

Guillaume Sibout : J’ai depuis toujours été intéressé par les sujets du numérique et du digital en éprouvant le besoin d’apprendre la culture qui y était associée. Quelque chose d’essentiel selon moi pour comprendre tous les phénomènes nouveaux qui apparaissent sous nos yeux, ceux liés bien sûr aux algorithmes de l’IA dont on parle beaucoup, mais pas seulement. Cet intérêt m’a amené, après des études à l’École des hautes études en sciences de l’information et de la communication (Celsa), et de philosophie à Sorbonne Université, à suivre à Sciences Po une formation diplômante en humanités numériques. Aujourd’hui consultant, j’interviens sur des enjeux du numérique auprès de grandes entreprises.

Nous réalisons cet entretien à Palaiseau, à l’occasion de la 2e édition de Dimension, un salon du livre dédié au dialogue science et fiction. Qu’est-ce qui explique votre présence ici ?

Guillaume Sibout : Il se trouve que j’ai écrit pour le magazine La Fringale culturelle, partenaire de ce salon du livre. J’y ai publié des articles sur les questions relatives à nos usages numériques. Mais le véritable motif de ma présence ici est l’ouvrage que j’ai publié en 2024 aux éditions de l’Aube, Jeux de rôles. L’image de soi sur les réseaux sociaux. Je m’y intéresse plus particulièrement à l’image professionnelle, un sujet encore peu étudié. Je l’aborde en me plaçant à la croisée de la fiction et de la science – en l’occurrence la science algorithmique. Je m’emploie à montrer comment ces jeux de rôle conduisent à participer à des mœurs de nature numérique, que les réseaux sociaux savent très bien capter et développer.

– Sauf qu’ici c’est manifestement en quête d’interactions en présentiel que sont venus les gens – les auteurs aussi bien que le public. Rares sont ceux qu’on peut voir les yeux rivés sur l’écran de leur smartphone… Qu’est-ce que ce simple constat empirique vous inspire quant à la réalité de cette ère du tout numérique dans laquelle nous serions entrés ? Pour le dire autrement, que nous disent les humanités numériques sur la persistance d’événements comme un salon du livre ?

Guillaume Sibout : Cela démontre l’importance qu’il y encore à découvrir le livre, dans son format papier. Par ailleurs, mettre de côté son smartphone, à l’occasion d’un événement comme celui-ci, permet d’observer d’autres choses que celles que nous donnent à voir les réseaux sociaux. Nous ne sommes plus alors au bout de nos surprises. C’est ainsi qu’en m’installant à mon stand, j’ai découvert que celui qui était juste en face n’était autre que celui de la maison d’édition d’un certain Sylvain Allemand dont je venais de faire connaissance quelques jours plus tôt, à l’occasion de l’AG de l’Association des Amis de Pontigny-Cerisy qui se tenait au Cnam, à Paris. J’y assistais pour y présenter le colloque que je coorganise en juillet prochain à Cerisy. Présentation que j’ai faite lors d’une séquence que vous animiez…. Déjà, nous échangions en direct, sans smartphone, sans réseaux sociaux interposés [rire].

– J’étais moi-même à mille lieues d’imaginer que nous nous retrouverions aussi vite. Puisque vous évoquez ce colloque auquel j’ai bien l’intention de participer, pouvez-vous le « pitcher » ?

Guillaume Sibout : Ce colloque a l’ambition de traiter d’un sujet encore peu abordé par les sciences sociales classiques : les propagations, autrement dit tous les phénomènes de viralité, d’expansion, de réplication, etc. : les rumeurs, les foules, les épidémies, les fake news (la désinformation), les « mêmes » – ces objets numériques éphémères, qui se répliquent sur les réseaux sociaux et qui disent quelque chose de l’évolution des pratiques culturelles. Y interviendront les meilleurs spécialistes des phénomènes de propagation, dans leurs disciplines respectives : des spécialistes des rumeurs, des épidémiologistes, sans oublier bien sûr des spécialistes des réseaux sociaux, du numérique.

Ce colloque est organisé à l’initiative de celui que je considère comme étant l’un des plus grands sociologues du numérique en France, également linguiste : Dominique Boullier, professeur émérite à Sciences Po Paris, que j’ai rencontré du temps où j’étais son étudiant. Organisé sur près d’une semaine (les colloques de Cerisy ont cette particularité de durer plusieurs jours), il est directement inspiré de l’ouvrage que Dominique a consacré aux phénomènes : Propagations. Un nouveau paradigme pour les sciences sociales (Armand Colin, 2023). Il est coorganisé en partenariat avec Renaissance Numérique dirigé par Jean-François Lucas et Françoise Thibaut, déléguée de l’Alliance Athena.

– Je recommande la lecture de ce livre et de se rendre à ce colloque où nous nous reverrons donc, cette fois en connaissance de cause. Si j’ai tenu à faire cet entretien, c’est parce que les circonstances de notre rencontre, j’insiste sur ce point, sont proprement sérendipiennes…

Guillaume Sibout : Est-ce bien de sérendipité qu’il faut parler ? Ne serait-ce pas davantage de la synchronicité ? Toujours est-il que je viens de découvrir un des titres de votre maison d’édition : Des vies sans refuge. Ce mot même de refuge ne me laisse pas indifférent. Je me demande si après tout le numérique ne pourrait pas être perçu comme une forme de refuge, sans exclure qu’il le soit aussi comme un lieu propice à de nouvelles rencontres. De nos jours, beaucoup de personnes échangent dans la durée sans s’être jamais rencontrées en vrai.

– Encore un mot sur votre essai Jeux de rôle. L’image de soi sur les réseaux sociaux, que je n’ai pas encore lu ?

Guillaume Sibout : Dans ce livre, je m’interroge sur ce qu’est l’authenticité. Peut-on être authentique sur les réseaux sociaux ? Une vaste question à laquelle je m’emploie de répondre en considérant que cette authenticité pourrait procéder à partir d’une forme de… sérendipité – on y revient ! Puisqu’à travers le hasard d’une rencontre, il y a peut-être en jeu une authenticité qui ouvre la porte à des échanges d’autant plus spontanés et précieux.

Propos recueillis par Sylvain Allemand

0
    0
    Votre panier
    Votre panier est videRetour à la boutique
    Retour en haut