Rencontre avec Amélie Cenet
Suite de nos échos au colloque « Métamorphoses par le paysage » qui s’est déroulé du 14 au 20 mai, à travers, cette fois, un entretien avec Amélie Cenet qui revient ici sur son parcours l’ayant conduite à accompagner en paysagiste des espaces agricoles en transition.
– Après avoir été diplômée de l’École de la nature et du paysage de Blois, vous avez fait le choix de vous engager dans des études d’agronomie. Un parcours original dont j’aimerais que vous nous rappeliez pour commencer les motivations.
Amélie Cenet : Depuis toujours, j’ai été encline à suivre mon intuition, sans chercher à prédéfinir mon parcours. Avant mes études d’enseignement supérieur, j’ai commencé par un bac scientifique, tout en ayant aussi une fibre artistique. D’ailleurs, une fois mon bac en poche, j’ai fait une mise en niveau en arts appliqués. Suite à quoi j’ai fait un BTS Design d’espace avec l’idée de m’orienter vers la scénographie et la conception de décor de cinéma. Mais c’est aussi à l’occasion de ce BTS que j’ai découvert le paysage – une de mes professeurs était paysagiste de formation. Cela m’a plu au point de me rendre à l’école de Blois à l’occasion de ses portes ouvertes. Je trouvais intéressante cette recherche d’équilibre entre des approches scientifiques – la botanique, l’écologie, la pédologie,… – et une approche plus artistique à travers notamment des cours de dessin. J’appréciais aussi le rapport à l’architecture, même si je voyais l’avantage du paysagisme : travailler sur le vivant avec la possibilité d’aller toujours dans le sens du mieux, là où une construction, un bâti, tend à se dégrader au fil du temps. C’est comme cela que j’en suis venue au paysage ! Je précise que si j’intégrais l’école de Blois, c’était avec déjà l’intention de travailler sur les grands paysages, ce qui, j’en conviens, ne veut finalement pas dire grand-chose [rire]. Disons que l’échelle du jardin m’intéressait moins que celle d’un territoire, d’une région.
– Qu’est-ce qui vous a décidée à poursuivre en agronomie ?
Amélie Cenet : En 4e année (la formation en compte cinq), nous avions des cours d’initiation à cette discipline. Une visite avait été organisée dans une exploitation agricole. Je ne sais pour quelle raison, j’ai eu comme une révélation à cette occasion. Pourtant, je ne suis pas issue du milieu agricole. Mmis en voyant défiler les paysages agricoles depuis le bus qui nous conduisait à cette exploitation, j’ai pris la mesure de ce qu’étaient les grands paysages, des espaces à perte de vue ; j’ai pris conscience que c’est précisément sur ces paysages à dominante agricole que j’avais envie de travailler. Comme je ne connaissais rien à l’agriculture, j’ai choisi de faire mon stage de 4e année – un stage de deux mois – en Chambre d’agriculture en déposant une candidature spontanée à celle du Loir-et-Cher. Durant ce stage, j’ai travaillé sur les enjeux du bocage, ce qui m’avait bien plu au point de me donner envie de consacrer mon projet de fin d’études (de 5e année) à un sujet en lien avec l’agriculture : en l’occurrence, les algues vertes en baie de Douarnenez, dans le Finistère, dont l’agriculture intensive est une des causes de la prolifération. Un sujet conflictuel s’il en est, au carrefour des problématiques agricoles mais aussi de la mer et du littoral. Jusqu’alors l’agriculture était encore peu investie par les paysagistes. Il est vrai aussi que ceux-ci reçoivent peu de commandes relatives à des problématiques agricoles.
– Cela ne vous a-t-il pas dissuadée de poursuivre dans cette voie ?
Amélie Cenet : Non, au contraire ! Mais je n’en étais pas moins intéressée par l’enseignement et la recherche. Pour les besoins de mon stage de fin d’études, j’ai donc déposé une demande dans un laboratoire de recherche, celui de l’INRAe de Rennes, qui travaillait justement sur la baie de Douarnenez dans le cadre d’un projet d’agriculture du littoral. L’expérience m’a convaincue de poursuivre en thèse, avec la personne qui m’avait encadrée durant ce stage qui avait duré trois mois. J’ai monté mon dossier en proposant un sujet à l’interface entre paysage et agronomie. Le temps de trouver des financements, j’ai commencé ma thèse un an et demi plus tard.
– À vous entendre, on perçoit que vous n’étiez pas tant en mal de savoir ce que vous vouliez faire que dans un cheminement au cours duquel vous avez été ouverte aux opportunités sans craindre d’emprunter des chemins de traverse ou de bifurquer, en vous fiant à votre intuition ainsi que vous l’avez indiqué au début de cet entretien. Un témoignage qu’on pourrait ériger en exemple pour tous ces élèves et étudiants qui peinent à s’orienter : finalement, toute expérience est bonne à prendre, a fortiori si elle permet d’affiner ses choix, de trouver enfin sa vocation…
Amélie Cenet : … et quitte à aller à l’encontre des avis de ses professeurs, de sciences en particulier. Les miens ont regretté que je fasse des arts appliqués après la bac – eux me poussaient à faire une classe prépa scientifique, physique-chimie. Au final, je considère que mon cheminement a été enrichissant. Il faut juste avoir des parents ouverts, qui consentent que leur enfant poursuive des études non prédéfinies, fut-ce pendant plus d’une dizaine d’années comme dans mon cas, entre l’année du bac et celle de ma soutenance de thèse. Aujourd’hui, j’ai plus que jamais envie de continuer à travailler sur les paysages agricoles, en tant que paysagiste.
– Est-ce à dire que vous avez renoncé à la recherche ?
Amélie Cenet : Suite à ma thèse, je pensais poursuivre avec un postdoc puis de décrocher un poste de chercheuse titulaire dans un laboratoire. Finalement, ce ne sera pas le cas ! J’ai décidé de continuer à suivre mes intuitions. S’il y a plusieurs aspects du monde de la recherche qui me plaisent, pour autant, je ne pense pas que le métier de chercheur me corresponde vraiment. Récemment, j’ai décidé de me lancer à mon compte dans une activité de paysagiste, toujours dans l’idée de travailler sur les espaces agricoles, notamment dans le cadre de programmes de recherche à l’image de ceux dont a parlé Olivier [Ragueneau, sociologue, directeur de recherche au CNRS], c’est-à-dire tournés vers l’accompagnement des transitions. Je ne quitte donc pas le monde du paysage ni celui de la recherche, je m’y investis juste en adoptant d’autres modalités dans la manière d’en faire.
– Dans quelle mesure ce colloque vous a-t-il confortée dans cette décision ? Par quelles circonstances y êtes vous venue d’ailleurs ?
Amélie Cenet : Cette question est l’occasion de préciser que j’ai fait une thèse Cifre avec l’Agence Folléa-Gautier. C’est à cette occasion que j’ai entendu parler du colloque qui était alors en préparation.
Quant à savoir s’il m’a confortée dans ma décision, la réponse est oui. Plusieurs interventions abondaient dans le même sens en insistant sur la nécessité pour les paysagistes de lancer des projets propices à la création de nouvelles modalités de travail avec les territoires. Il me semble que mon projet de lancer ma propre activité participe de ce renouvellement, par le fait même de souhaiter travailler au croisement des projets de paysage et de recherche.
– Nous réalisons cet entretien quasiment au terme de ce colloque que vous avez suivi depuis presque le début. Que voudriez-vous partager de cette expérience particulière que constitue un colloque de Cerisy de par le fait de réunir des personnes d’horizons disciplinaires et professionnels différents, plusieurs jours durant, de surcroît dans le cadre d’un château, avec ses dépendances, son parc, etc., rythmé au son des cloches…
Amélie Cenet : J’avoue qu’au début, j’ai été un peu surprise, du fait de ce cadre, de son apparent huis clos, mais aussi de la tonalité d’interventions qui me paraissaient un peu déconnectées des expériences de terrain. Or, il me semble qu’on apprend parfois autant à discuter avec un agriculteur ou un élu que dans des colloques ! Mais une fois passé l’effet de surprise et trouvés mes repères, j’ai pu mesurer à quel point les échanges, qui font suite aux communications ou qu’on prolonge lors des repas, peuvent être enrichissants. Le fait de savoir qu’on dispose de temps pour poursuivre une discussion en off, avec un intervenant permet d’éviter de la faire précipitamment, à l’issue de sa communication comme cela peut se passer dans un colloque scientifique. Je repars donc plus agréablement surprise que dans cet état d’étonnement initial [rire]. Et puis, toutes déconnectées que des communications puissent paraître, elles n’en nourrissent pas moins la réflexion.
– D’expérience, je constate pour ma part que ces communications et les échanges qui les prolongent permettent de prendre la mesure de la polysémie des mots, d’une discipline ou d’un métier à l’autre, de sorte que je repars souvent de Cerisy avec l’impression de m’être enrichi d’autres définitions, d’autres significations, sans oublier les mots, les concepts qu’on peut aussi découvrir à cette occasion. Cette remarque fait-elle sens pour vous qui êtes amenée à vous confronter à des personnes pratiquant des « langues » disciplinaires ou professionnelles différentes ?
Amélie Cenet : Ce que vous dites me parle en effet, même si en l’occurrence je suis fatiguée à devoir définir le mot paysage ! [Rire]. Au cours de mes expériences de terrain, j’ai rencontré des interlocuteurs – agriculteurs, agronomes, écologues etc. – qui en avaient une définition spécifique, ce qui pouvait créer des incompréhensions par rapport à ma propre approche du paysage. J’ai fini par prendre le parti de ne plus l’utiliser au point même d’avoir évité d’en faire usage durant ma soutenance de thèse ! Ce qui a eu pour effet de cristalliser d’autres débats, des personnes me reprochant justement de ne pas l’utiliser alors même que les interlocuteurs que j’avais interrogés au cours de ma thèse avaient, eux, partagé leur propre vision du paysage ! Pourtant, je ne fais pas de ce non-usage matière à revendication. Il s’agit juste d’une solution de facilité pour sortir de débats qui me semblent parfois stériles. En être encore à devoir définir le paysage me pèse. Ce à quoi mon parcours n’est pas étranger : comme vous l’avez compris, je n’en suis venue au paysage que dans un second temps, en ne cessant de m’ouvrir à d’autres champs professionnels et disciplinaires. L’important est d’avancer dans la transition écologique que ce soit en lien direct ou pas avec le paysage. D’ailleurs, j’ai trouvé intéressantes les communications qui, tout en étant cohérentes avec la thématique du colloque, ne partaient pas d’un point de vue paysagiste – je pense notamment à celle d’Olivier Ragueneau, sociologue. Ce faisant elles ont enrichi la compréhension du paysage sans chercher à le définir, voire sans même utiliser le mot.
– Vous me remettez en mémoire le colloque « Les autres noms du temps », qui se proposait justement d’aborder le temps au prisme de disciplines très différentes, en invitant cependant les intervenants à éviter d’utiliser le mot… Finalement l’expérience a échoué. Malgré cela, je me dis en vous écoutant que nous aurions pu nous livrer au même exercice, avec le mot paysage…
Amélie Cenet : Au risque de paraître me contredire, je doute que l’exercice eût été productif et, surtout, s’il eût été recommandé de le faire, car les paysagistes se sont beaucoup battus ces dernières décennies pour faire reconnaître les enjeux du paysage, l’intérêt d’une approche paysagère. Que des paysagistes organisent un colloque en se gardant de parler de paysage eût été un comble ! [Rire]. Et puis, force est de constater que l’usage du mot n’a pas stérilisé les débats, loin de là. Je faisais juste part de mes interrogations ; j’ai parfois le sentiment que, pour intéressants qu’ils soient, ces discussions autour du sens à donner au mot paysage peut retarder le moment de passer à l’action sur le terrain, à travers des initiatives concrètes.
Propos recueillis par Sylvain Allemand
A lire aussi l’entretien avec Jean-François Caron – pour y accéder, cliquer ici.