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Paris, ville verte ?

C’est en piétonne de Paris que Catherine Véglio (auteure du roman Des vies sans refuge) a lu le livre de l’architecte Antoine Picon, Natures urbaines – Une histoire technique et sociale 1600-2030.

Ce fut un été olympique, propice à redécouvrir la capitale en piétonne de Paris. Dans la ville ouverte au monde, touristes, parisiens, policiers se pressaient au pied des cinq anneaux, pour se faire photographier. Sous le soleil exactement, sur une place de la Bastille paraît-il végétalisée mais tellement minérale. Paris ville verte ?

Pendant ce temps s’ouvrait au public une nouvelle forêt urbaine du côté de la Petite ceinture, dans le 20e arrondissement, le Bois de Charonne, qui comprendra à terme plus de 2 000 arbres et 6 000 plants forestiers. De ce nouvel espace naturel, Antoine Picon en parle, dans un livre passionnant et judicieusement illustré, Natures urbaines – Une histoire technique et sociale 1600-2030, édité à l’occasion de l’exposition qui se tenait sur ce thème au Pavillon de l’Arsenal – du 24 avril au 29 septembre 2024 (1).

Un héritage historique

L’auteur réunit nombre de références pour nous entraîner avec bonheur dans une promenade savante révélant l’évolution des relations entre ville et nature au fil des siècles. Car pour comprendre les rapports contemporains entre l’urbain et la nature, il faut porter un regard historique, remonter une longue chronologie dans laquelle réalités et imaginaires sont inséparables.

Tous nos débats actuels sur la place et le rôle de la nature en ville face à la crise climatique renvoie « à des valeurs et à des pratiques sédimentées de longue date » souligne l’auteur. Celles-ci ont forgé des modèles urbains occidentaux largement diffusés à partir de la seconde moitié du XIXe siècle et dont l’héritage est toujours bien présent sur les cinq continents.

Antoine Picon invite ainsi le lecteur à explorer les natures urbaines à Séoul, Londres, New-York, Buenos Aires, Milan, Bangkok, Singapour ou encore Fukuoka au Japon. Mais l’arpenteur du bitume parisien, soucieux de prolonger ses déambulations estivales, trouvera dans ces pages matière à un beau voyage dans un paysage urbain qu’il croyait connaître.

Longtemps Paris fut entièrement grise et minérale. Il faudra attendre le Plan Turgot pour voir la nature s’introduire petit à petit. Elle est d’abord un divertissement, privatisé et esthétique, pour les familles princières et aristocratiques, comme en témoigne par exemple le cours de la Reine, créé en 1616 pour Marie de Médicis. Cette allée privative s’étend sur un peu plus d’un kilomètre le long de la Seine, du Jardin des Tuileries aux collines de Chaillot. Les jardins royaux ne s’ouvriront que progressivement au public, le précurseur étant le jardin du Luxembourg en 1615.

Une ambition politique

La dimension morale et politique de la nature en ville est permanente. Avec le siècle des Lumières, émergent des préoccupations sanitaires et hygiéniques mais aussi sociales : on veut faire respirer la ville, le jardin devient poumon urbain et espace propice au renforcement de liens sociaux. On y échange nouvelles et opinions, on y lit le journal, on y joue aux « Montagnes de Tivoli », parc d’attractions créé en 1730. En 1786, les maisons édifiées sur le pont Notre-Dame sont détruites, tout comme celles du Pont au Change deux ans plus tard. Les temps sont à l’ouverture de l’espace afin d’améliorer la circulation de l’air et de lutter contre la propagation des épidémies.

Au XIXe siècle, avec l’avènement de l’industrie, c’est pour lutter contre la pollution que l’on plante des arbres dans le Paris du Second Empire ou à New-York avec Central Park. Comme le montre l’auteur, l’haussmannisation accorde une place centrale aux plantations, aux alignements d’arbres, aux squares, aux jardins et aux parcs. Celui des Buttes-Chaumont, construit sur une carrière, avec son relief entièrement remodelé, sa terre venue d’ailleurs, sa grotte en ciment, mobilise des moyens techniques importants et n’a rien de naturel. Mais on y cultive « l’idée de nature » et une ambition politique, celle d’une nature accessible à tous et investie d’une mission de pacification des relations sociales.

En Grande-Bretagne, cet imaginaire se retrouve dans le modèle de la cité-jardin d’Ebenezer Howard qui imagine la campagne à la ville avec l’accès à un jardin pour tous les habitants. Ce modèle ne fera pas école en France mais on retrouve dans les écoquartiers d’aujourd’hui ou dans des démarches comme celle de Singapour « une ville dans la nature », une certaine filiation.

Un changement de perspective

Avec la montée des préoccupations environnementales dans les années 1950-1960, une approche duale se développe au XXème siècle : la nature apparaît à la fois comme menacée et réparatrice. L’exploration spatiale joue un rôle majeur pour faire prendre conscience aux Terriens de la finitude de la planète bleue, de la nécessité de prendre soin d’un Spaceship Earth aux ressources limitées. Ces inquiétudes inspirent de nouveaux regards sur la nature en ville. Elle devient un bien commun à protéger, à mieux comprendre, y compris les sols trop longtemps ignorés (2).

Sites pollués et infrastructures sont requalifiés grâce au recours à la nature. Précurseure de la High Line de New York, aménagée sur l’emprise d’une ancienne ligne ferroviaire aérienne, la coulée verte René-Dumont, dans le 12è arrondissement de Paris, transforme le viaduc de Bastille en promenade plantée. L’urbanisme paysager prend son essor cherchant, comme l’écrit Antoine Picon, « à redonner une cohérence à des territoires urbains décousus ». En région parisienne, cette approche guide l’aménagement du pôle scientifique et technologique de Paris-Saclay ou encore celle du Parc des Docks à Saint-Ouen qui s’intéresse tout particulièrement au sol, dépollué et travaillé en relief, et à l’eau.

Si l’on regardait en effet d’abord le monde souterrain avec le sol et l’eau, socles de la nature en ville ? L’heure est au changement de perspective. Antoine Picon publie dans ces pages une fascinante carte de la Terre (3) du point de vue du sol, comme si les géographes s’étaient amusés à la retourner comme une chaussette… L’écosystème est considéré dans sa globalité et sa complexité et les urbanistes présentent leurs projets en coupe, des profondeurs du sous-sol à l’atmosphère, en figurant les racines des arbres et la vie animale, comme l’illustre la présentation en coupe du parc de la Plaça des Gloriès à Barcelone.

La place accordée à l’importance du sol se retrouve dans nombre d’aménagements urbains. La nature est traitée comme une éponge, à l’image du Benjakitti Forest Park avec ses vastes espaces inondables à Bangkok. Et dans le parc Martin-Luther King, dans le 17e arrondissement de Paris, les plans d’eau colonisés par les végétaux épurent l’eau de pluie et les eaux de la Seine. Elle devient un espace tampon au contact direct des infrastructures pour assurer la continuité des habitats et de la circulation de la faune et de la flore – passage à faune au dessus de l’autoroute A64 – et chemine en liberté dans le Jardin Joyeux sur l’ancienne dalle fracturée d’un parking à Aubervilliers ou dans des friches urbaines.

Corridor de biodiversité, la nature colonise des jardinières dans les « rues aux écoles » piétonnisées de Paris et dessine peu à peu une trame verte. Car l’air du temps est au décloisonnement des espaces végétalisés, qui ne sont plus séparés des zones artificialisées. C’est le Paris bioclimatique symbolisé par l’aménagement du parvis de la cathédrale Notre-Dame, qui prend en compte le parcours du soleil, la direction des vents, l’évapotranspiration des arbres et leur ombre portée. Les figures de la ville verte deviennent ainsi difficiles à identifier et à dénombrer avec précision, remarque Antoine Picon.

La dimension technique

Et le piéton de Paris peut à juste titre se demander de quoi le futur de la nature en ville sera fait. Se glissera-t-elle dans les interstices, au bonheur des petits projets portés par les habitants, dans les jardins partagés et autres fermes urbaines ? Le désir de nature s’affiche d’ores et déjà dans le bâti, avec la végétalisation des murs et les projets de toits végétalisés, plus compliqués à mettre en œuvre dans le cadre de l’architecture parisienne. L’usage de peintures blanches à fort pouvoir réfléchissant serait, à cet endroit, plus simple pour lutter contre les effets du réchauffement climatique, indique l’auteur…

Cette nature qui cherche à se déployer par dessus les toits de Paris nous rappelle une chose essentielle : elle nécessite des dispositifs techniques. Et c’est là l’autre axe fort de cet ouvrage. Même s’il faut aujourd’hui réinterroger les rapports entre nature et technologie, les deux sont indissociables et le demeureront. « Faire vivre et prospérer des espèces végétales et animales en milieu urbain a toujours représenté un défi technique ».

L’impératif d’adapter les villes à l’élévation des températures montre la voie : il ne s’agit pas d’opposer nature et technique mais de repenser le rôle et le contenu de cette dernière « dans une perspective de soin apporté au vivant et aux milieux » insiste Antoine Picon. Le numérique peut jouer ce rôle en aidant à une meilleure compréhension des sols et des espaces naturels et à une meilleure gestion des populations animales et végétales.

Paris ville verte ? La réponse est donnée… par un outil de cartographie numérique développé par le Senseable City Lab du MIT (Massachusetts Institute of Technology) ! Le Green View Index permet de comparer le taux de végétalisation des différentes villes du monde. Montréal : 25%, Genève : 21,4%, New York : 13,5%, Paris : 8,8%. Dans Paris, globalement grise… la minéralité peut encore perdre du terrain et les natures urbaines œuvrer à la rendre toujours mieux habitable.

Catherine Véglio.

Notes
(1) Éditions du Pavillon de l’Arsenal, mai 2024.
(2) L’origine du monde – Une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent, Marc-André Selosse (Actes Sud, 2021).
(3) Carte du sol, in Frédérique Aït-Touati, Alexandra Arènes, Axelle Grégoire, Terra Forma. Manuel de cartographies potentielles, Montreuil, Éditions B42, 2019.

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