Par Caroline Ziajka et Lionel Debs – conservations avec Sylvain Allemand, Sérendip’éditions, 2024, 256 p.
Nous en avons été les premiers surpris : alors qu’elle est engagée dans la promotion de son roman, Des vies sans refuge, Catherine Véglio n’a pas résisté à l’envie de se plonger dans Des architectes pleins d’égards… puis de reprendre sa plume pour partager ses impressions de lectrice. Nous lui avons naturellement ouvert notre Blog, quitte à devoir assumer ses critiques (par respect pour l’exigence que nous lui connaissons) ou, à l’inverse, ses commentaires élogieux (en vous laissant, lecteurs, juger par vous-mêmes et le livre et la lecture qu’elle en fait).
Pour nous qui habitons
C’est une pie bavarde qui se perche sur une branche pour tenter de construire un nid et l’entretien s’interrompt. La conversation est un art. Elle se précise avec le temps, l’observation, les silences, l’attention aux mots, un je ne sais quoi maîtrisé avec brio par Sylvain Allemand.
Et si le mot-clé qui caractérise l’architecture défendue par Caroline Ziajka et Lionel Debs est « peut-être l’interaction », comme le suggère le géographe Augustin Berque dans la préface de l’ouvrage, il l’est sûrement pour définir ce trilogue né d’un compagnonnage de route débuté en 2013.
Dix ans d’une complicité « située » – encore un emprunt à l’architecte Catherine Rannou qui signe la postface – qui permet au lecteur d’imaginer des lieux aussi divers que la Maison Saint Fridolin où le dehors et le dedans font ensemble habitat, le gymnase Albert Le Grand et son platane souverain, préservé par la volonté d’optimiser le moindre mètre carré, ou encore l’école primaire de Benfeld, pensée pour les usages de tous, enfants, enseignants et parents.
Les usages, le milieu, le contexte – au fil des pages, ces mots leitmotivs reviennent – dictent les propositions et les choix des deux jeunes architectes, signant une démarche « sans compromis ». Au sens où il est impensable de ne satisfaire qu’en partie un usager amené à vivre et/ou à travailler des années durant dans le logement/l’équipement construit.
Ces principes directeurs dévoilent une pratique de l’architecture pleine d’égards pour les temps présents. Ils invitent à explorer tous les champs des possibles, sans dogmes ni méthodes conçues in abstracto.
« Ce n’est pas parce qu’un matériau est biosourcé, ou vanté comme tel par une filière professionnelle, qu’il est pertinent en toutes circonstances » dit l’un, en rappelant que le béton « coulé dans des planches selon un procédé en usage en Suisse et en Allemagne » par des artisans, conserve, selon la nature du projet, de réels atouts. « Je m’inquiète pour les futures générations d’architectes qui risquent de ne plus concevoir qu’à partir de formes pré-dessinées (ndlr : par le truchement du logiciel BIM pour Building Information Modeling) » dit l’autre, qui aime se frotter à « la pleine terre » et au chantier.
Qu’on ne s’y trompe pas, cette mise en garde est fondée sur une exigence. A l’heure du changement climatique, une réflexion novatrice sur la conception architecturale doit primer, au-delà du recours aux seules technologies « innovantes ». Car des solutions simples mais bien intégrées dans la conception même du bâtiment – son orientation en fonction de l’ensoleillement, la ventilation naturelle créée par l’ouverture des fenêtres d’un espace traversant,… -, restent efficaces pour affronter les aléas du climat.
Loin de toute représentation iconique, l’architecture qui se raconte dans ce livre est celle de notre ordinaire, l’essentiel de nos vies : le logement, l’école, le bureau, la salle de sport,… Ces pages interrogent sur le nécessaire, et l’on se surprend à faire sienne une question impossible – ce que nous mettrions dans une seule valise le jour où nous devrions partir précipitamment, ce que les parents de Caroline Ziajka, réfugiés politiques polonais, ont fait au début des années 1980.
On a envie de dire à toutes celles et ceux qui se préparent à exercer ce beau métier d’architecte : prenez-part à ces conversations, poursuivez-les. Car voilà ce que nous aimons nécessairement quand nous vivons l’architecture à travers notre habitat et nos multiples activités : être dans de beaux espaces, où l’on se sent bien et où, même en ville, un oiseau bâtisseur peut interrompre la course du temps.
Par Catherine Véglio